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Critique de Sivoj


Sivoj
30 décembre 2015
Voici donc l'histoire du pauvre Benvenuto Gesufal, un homme de main à la fois garde du corps, assassin, informateur et messager, au service du politicien cynique et calculateur à la tête de Ciudalia, une république aux airs de cité-état italienne de la fin du 15ème ou milieu du 16ème siècle.


Contrairement à ce que vous pouvez vous dire, notre protagoniste n'est pas un ninja à la Assassin's Creed qui déboite ses adversaires à coups d'art martiaux ou en sautant depuis les toits... Il y a bien une scène où il saute de toits en toits (représentée sur la couverture d'ailleurs !) mais c'est pour sauver sa misérable vie. Car loin d'avoir la classe, notre "héro" est une crapule et quand il lui arrive de devoir tuer, c'est rarement de manière très fair play. Il n’empêche qu'en l'entendant raconter son histoire à la première personne, on finit par s'attacher à ce vicelard qui n'est pas dénué d'humour ! On observe tout au long de son récit comment il va s’empêtrer dans les manœuvres politiciennes de son patron et comment il va essayer de s'en dépêtrer.


Premier petit bémol, le récit à la première personne présente des avantages, comme une caractérisation plus profonde du personnage principal, mais aussi des défauts; la caractérisation des personnages secondaires est vue à travers les yeux du héro, ce qui la rend forcément plus superficielle. Le fait que l'on sache très bien que le protagoniste va s'en tirer – car c'est lui qui raconte son histoire après les évènements – enlève un peu de piquant à certaines scènes.


Second bémol, pour moi il y avait un peu trop de descriptions. Le monde est bien construit et j'apprécie ça quand il s'agit d'expliquer l'histoire ou le fonctionnement d'une société. Mais à côté il y pas mal de bloc descriptifs d'ambiance qui alourdissent un peu le récit. Ce n'est pas du tout mal écrit, au contraire même : là où Scott Lynch et Joe Abercrombie passent soudain d'une scène d'action au discours descriptif de manière très abrupte et sans transition, pour nous pondre un paragraphe qui tient plus de la liste de caractéristiques que de la description vivante (Ces deux auteurs anglophones ont du talent, mais il faut reconnaitre qu'ils décrivent un décor avec la spontanéité d'une encyclopédie et l'amènent comme un cheveux sur la soupe. Ils sont talentueux dans leur domaine, comme la caractérisation pour Joe Abercrombie, mais pas dans le discours descriptif en lui-même), Jean-Philippe Jaworski lui nous fait passer plus subtilement de l'un à l'autre et ses descriptions sont toujours du point de vue personnel et ressenti de son héro/narrateur.
Il y a d'ailleurs dans le premier tiers du livre une bonne description des os brisés et des plaies en train de s'infecter de notre héro. C'était absolument ignoble et donc absolument génial !
Hélas toutes ne sont pas aussi utiles ou personnelles, et il est vrai qu'elles représentent une grosse proportion des 980 pages de ce roman ce qui plaira à coup sûr à certains mais pas forcément à tous. Même si elles sont sympathiques, je trouve un peu lourd quand il y en a plusieurs pages d'affilé et elle finissent forcément par ralentir le rythme dans un récit ou les rebondissement sont déjà trop peu nombreux au vue de la longueur du livre


A propos de la construction du monde, difficile de dire précisément la période historique de référence car d'un côté on note l'absence d'armes à feu dans l'infanterie ou d'artillerie sur les galères, ainsi que l'emploi fréquent de demi-armures, qui suggèrent au plus tard la fin du 15ème; mais de l'autre l'autre des éléments de mode (pourpoint à crevés) ou des armes (apparition des premières rapières) suggèrent un 16ème siècle déjà bien avancé. Mais évidement c'est un monde imaginaire qui ne se situe pas dans un contexte historique donc cela ne porte pas à préjudice, au contraire ça m'a même intéressé !


D'ailleurs à propos des armes, si certains combats ne payent pas de mine au début, le dernier tiers du livre nous offre un superbe duel avec un bon emploi de termes d'escrime historique très anciens – Caver, pour signifier un contournement de la lame adverse pour passer la sienne de gauche à droite ou l'inverse, serrer pour se rapprocher, mesure pour indiquer la distance de combat, ou ricasso, la base de la lame, généralement non-aiguisé.
Au cours du récit il m'est arrivé de me demander le type d'épée utilisée. Après tout, les systèmes qui emploient l'épée et la dague existent aussi bien pour l'épée de côté – comme on peut le voir dans Cabinet d'escrime de l'espee et poingnardt du Capitaine Péloquin, écrit fin 16ème – que pour la rapière.
En fait, historiquement il n'y a pas de délimitation précise entre les deux, la rapière est une épée de côté qui s'est allongée progressivement sans qu'un chiffre arbitraire ne viennent déterminer si l'on a affaire à l'un ou à l'autre. Mais même si l'une est une évolution de l'autre, les deux sont restées utilisées pendant la même période. La tendance générale étant que l'épée de côté, un peu plus courte et un peu plus large, permette toujours des coups de taille relativement efficace en plus des coups d'estoc, tandis que la rapière, plus fine et plus longue, abandonne sa capacité à infliger une taille profonde au profit de l'estoc.
Mais revenons en au livre : au cours d'une séance d'entrainement, Benvenuto note qu'il est tellement pas en forme que son adversaire arrive à caser des coups de taille, plutôt une épée de côté donc. A un autre moment, il indique qu'un personnage porte une épée civile, probablement une rapière. Ce qui indique que, comme historiquement, les deux existent dans cet univers. La différence, s'il s'agit du tout début de la rapière, ne doit pas franchement sauter aux yeux. Le contraste est plus marqué par le système d'escrime employé que par les quelques centimètres de lame en plus.
Mais revenons en justement au superbe duel dont j'avais commencé à parler : c'est dans celui-ci que j'ai enfin pu me dire que Benvenuto utilise une système de combat caractéristique des débuts de la rapière italienne (qui était encore appelée spada da lato – italien pour épée de côté – à l'époque), tel que présenté par Camillo Aggripa (celui dont parle Inigo Montoya dans Princess Bride !) dans son célèbre traité "Trattato di Scientia d'Arme, con vn Dialogo di Filosofia" écrit en 1553. En effet l'emploi de certains termes spécifiques ne trompent pas : tierce et quarte sont deux des quatre gardes que comportent l'école italienne.
Aggripa a été le première maitre d'arme à préconiser l'emploi prédominent de l'estoc sur la taille. Mais cette dernière n'a pas totalement disparu (elle le fera chez les maitres d'armes suivants, à mesure que les lames s'allongeront), il est donc normal de la voir mentionnée dans ce livre si l'on est en pleine transition entre l'épée de côté et la future rapière, même si les coups d'estoc deviennent dominant.
Ainsi j'ai résolu mon problème qui n'en a jamais été un (et dont vous vous fichez probablement) et je peux me faire une idée exacte de l'épée que don Benvenuto emploie :
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Tout ça pour dire que l'auteur a fait ses recherches ! Pour une fois, on évite le piège de la fantasy avec des grosses épées magiques ridicules ou de l'escrime hollywoodienne. On peut, au contraire, apprécier un réalisme et des ressemblances historiques cohérentes dans ce monde imaginaire.


Pour résumer, j'ai aimé les rebondissements qu'offrent les manœuvres politiciennes, bien qu'ils ne soient pas assez nombreux pour un livre aussi long. J'ai apprécié le ton léger et totalement désabusé du héro par rapport à la "sombreur" de la situation, l'emploi d'un peu d'argot dans la narration, ainsi que l'inspiration historique de laquelle est tirée la ville de Ciudalia. Le récit à la première personne m'a plu pour son côté personnel mais m'a aussi laissé froid par rapport à tout ce qui ne touche pas directement au héro. Enfin, les descriptions sont à double-tranchant car malgré leur qualité elles alourdissent trop l'histoire à mon goût. Je mettrais 3,5 étoiles si je pouvais.
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