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Critique de Glaneurdelivres


« Oui, ma poétique est une poétique de policier ;
je recueille des faits : je n'écris pas un livre, je rends témoignage. Et je dis que c'est vrai, que c'est bien ainsi que cela s'est passé, je le dis maintenant, ici, où notre vie est au milieu de son chemin, frissonnant dans la fraîcheur du même vent de minuit qui sifflait aux oreilles de Dante, lorsqu'il se retrouva seul au sein de l'obscurité et du brouillard. »

C'est depuis sa chambre d'un baraquement communautaire de Litvinov -dont la porte s'ouvre seule et claque à toute heure du jour et de la nuit- que le narrateur évoque la vie quotidienne du quartier d'une ville minière entre 1948 et 1956 dans la Tchécoslovaquie stalinienne.
« Les baraques sont ce qu'il reste des camps de concentration allemands ».
Dans cet espace de relégation dans la Bohème du Nord, que les communistes tchèques veulent se réapproprier, le passé ne disparaît pas, il est simplement enseveli, comme le rappellent les ossements humains que les bulldozers déterrent lorsque de nouveaux chantiers sont lancés…

L'auteur, Josef Jedlička (1927-1990), a étudié l'esthétique et l'ethnographie à l'Université de Prague, mais en 1948, avec l'arrivée des communistes au pouvoir, il a été expulsé de cette université pour être anti-communiste, ce qui lui a valu de devoir exercer diverses professions, telles qu'ouvrier, éducateur, assistant de télé, enseignant, etc.
Il lui était interdit de publier quoi que ce soit, mais il écrivait secrètement des romans et des nouvelles qu'il lisait dans le cercle de ses amis proches, dont Bohumil Hrabal, Jan Zábrana, et d'autres écrivains interdits à l'époque.

Josef Jedlička a réellement vécu dans cette ville minière de Litvinov de 1953 à 1968.
Ce livre est donc truffé de témoignages assez autobiographiques.
En 1966, il a été autorisé à publier son roman « Au milieu du chemin de notre vie », mais son livre a alors été censuré, en raison de sa vision critique de la société socialiste. Heureusement, après la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie, il a été publié intégralement en 1994.

Le récit à la fois sombre et comique.
Il y a l'immédiat après-guerre où il décrit l'enthousiasme des premiers mois du socialisme tchèque, qu'il tourne en dérision, puis la fureur hallucinée du stalinisme, sa bêtise, et l'avilissement de tous par la peur, et son quotidien dans les années 50 avec l'amélioration matérielle des conditions de vie : « La révolution, quant à elle, a voilé son sein nu, elle engraisse et passe des soirées entières devant la télé. »
Entre utopie et désespoir, l'image présentée dans ce livre de la période stalinienne en Tchécoslovaquie est d'une force poétique impressionnante.
Josef Jedlička nous livre une réflexion sur la condition humaine, le sens de la vie, la fuite du temps et les espérances trahies.
Des réflexions méditatives et spéculatives alternent et se chevauchent, avec des récits fragmentaires, comme des instantanés de sa propre vie et des tranches de vie des gens autour de lui, généralement rendues comme des conversations entendues. Les passages narratifs varient dans la chronologie de mai 1945 au début des années 1950, avec des sauts sporadiques dans le temps alors que les personnages s'occupent de « construire une nouvelle société ».

Jedlička, en nous rapportant ses expériences vécues, trace en quelques traits d'inoubliables portraits, comme l'endormisseur professionnel qui échoue chaque nuit à endormir l'avocat insomniaque, les ouvriers, les amoureux, les gosses du quartier, etc.
Josef Jedlička inscrit dans son livre une dimension mémorielle et une critique des orientations politiques de son époque.

« Au milieu du chemin de notre vie » est un roman antihéroïque, où l'écriture saisit par sa jeunesse, sa sincérité et son audace.
Le texte est poignant, baroque, poétique, lyrique, humoristique aussi.
Ce livre qui fourmille de situations et de personnages de l'Histoire et de la Culture tchèques, se conclut en fin d'ouvrage, par une trentaine de pages de notes du traducteur qui nous apportent des compléments d'informations pour une meilleure compréhension des bouleversements évoqués.
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