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Critique de Presence


Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Il comprend les 6 épisodes, initialement parus en 2005/2006, écrits par Paul Jenkins, dessinés et encrés par Humberto Ramos, avec une mise en couleurs de Leonardo Olea (avec l'aide d'Edgar Delgado et Edgar Clement pour l'épisode 3).

Charlie Northern est un fumeur de 45 ans, inspecteur de police de profession, pour le compte de la préfecture de Londres. Un soir, le cardinal Marcel Leclair toque à sa porte pour requérir son aide. le Vatican a obtenu que Northern parte en mission à Rome pour aider à l'enquête sur la mort suspecte du cardinal William Richleau, retrouvé empalé sur des grilles servant de palissade autour de son immeuble d'habitation.

La scène du crime (ou peut-être pire du suicide, pêché réprouvé par l'église) n'a fait l'objet d'aucune photographie, d'aucune protection pour la préserver. Rapidement, Northern est en butte à l'hostilité affichée du Cardinal Toscianni qui ne voit pas pourquoi un étranger a été appelé à la rescousse. Il va bénéficier d'une aide inattendue : celle de Lucille Pelliccia qui travaille pour un cabinet d'audit, ayant pour mission d'inspecter les comptes du Vatican.

Dès que le lecteur ouvre ce volume, il constate qu'il s'agit d'un projet qui tenait à coeur de ses auteurs. La narration est dense, et écrite. La voix intérieure de Charlie Northern s'inscrit dans le registre du roman noir, montrant un personnage froid, sans être sclérosé par le cynisme. le lecteur est également frappé par la densité des images. Humberto Ramos a passé beaucoup de temps sur chaque page (pour le découpage) et sur chaque case (pour la densité d'informations visuelles).

La première séquence se passe à l'extérieur du Vatican, le lecteur peut en contempler sa silhouette à l'arrière-plan. Il peut se perdre dans la représentation de la pluie qui atteste d'une grande complémentarité entre les dessins et la mise en couleurs. Par la suite, il se sent aux côtés de Northern, dans son petit appartement surchargé de livres. Les couloirs du Vatican sont représentés, avec un grand soin apporté à l'architecture, au pavage, ou au dallage en fonction des pièces. Lorsque Northern prend un café en terrasse, le lecteur peut également apprécier la justesse de la représentation des rues de Rome. Il peut aussi ressentir la fraîcheur et la tranquillité d'une cour intérieure.

Ramos fait donc en sorte que ses personnages évoluent dans un environnement réaliste et authentique, sans pour autant que chaque détail devienne une obsession. Leonardo Olea a travaillé de près avec Ramos pour que les couleurs trouvent un juste milieu entre le réalisme, et l'expressionisme, renforçant l'ambiance de chaque séquence, ainsi que les états d'esprit des personnages.

Pour les personnages, Humberto Ramos a choisi de les représenter avec une morphologie réaliste, tout en conservant 2 exagérations propres aux mangas : des têtes légèrement plus grosses que l'exactitude anatomique, et des yeux aux dimensions également un peu exagérées. Ce parti pris graphique génère un léger décalage, avec des personnages évoquant un peu un dessin animé pour enfants. Ils n'en sont que plus expressifs, mais aussi un peu éloignés du lecteur du fait de ces exagérations. Pour une raison peu lisible, Ramos a également choisi d'inverser les couleurs des yeux des de Charlie Northern : son blanc de l'oeil est noir, et son iris est blanc. A priori, ce personnage est un être humain normal, et la lecture ne permet pas de trouver un sens à cette représentation.

Les dessins de Ramos permettent donc au lecteur de s'immerger dans l'environnement de cette enquête, tout en créant une légère distanciation avec les personnages, du fait de l'apparence enfantine de leur visage. Sans aller jusqu'à parler d'incohérence visuelle, il en devient difficile de prendre au sérieux le tabagisme de Northern, alors que les images montrent un visage de très jeune adolescent.

Ramos et Paul Jenkins racontent donc une enquête menée par un anglais qui arrive un peu comme un chien dans un jeu de quilles, en ménageant le doute sur la réalité des phénomènes surnaturels. le lecteur peut donc choisir à sa guise si ce qu'il y a de pourri au Vatican relève plus de créatures démoniaques, ou de comportements très humains. Jenkins utilise avec parcimonie les inserts de texte permettant au lecteur d'avoir accès au flux de pensée de Charlie Northern qui expose ses doutes, mais aussi son athéisme chevillé au corps (après avoir été un vrai croyant).

Les dessins de Ramos étant de nature plus explicite, le lecteur hésite vraiment entre des possessions démoniaques très littérales (et par voie de conséquence, un culte satanique au sein même du Vatican), ou des individus aux convictions étranges s'étant persuadés de l'existence de démons (par le biais de rituels eux aussi très théâtraux).

Sous réserve de supporter cette dichotomie bien / mal très basique, et ce postulat peu nuancé d'une secte démoniaque au siège même de la papauté, le lecteur prend plaisir à voir Charlie Northern se débattre avec la recherche d'indices (ayant été saccagés), avec des interrogatoires menant à des impasses, et avec un jeu de chat et de la souris avec le cardinal Toscianni. Même avec des réserves, la qualité de la narration fait qu'il se laisse entraîner dans cette ambiance poisseuse, et dans ces non-dits inquiétants.

Sans dévoiler le fin mot de l'histoire, Jenkins se montre plus fin que prévu, en restant cohérent avec son postulat de départ. Finalement ce récit constitue un bon divertissement, malgré ses limites. Les dessins permettent de se projeter dans chaque lieu, et de se tenir à côté des personnages. Les dialogues et les inserts de texte fournissent un point de vue adulte, avec quelques réflexions dépassant les stéréotypes propres à ce type d'enquête sur fond de complot au Vatican. La narration empêche de prendre le récit complètement au sérieux du fait de la représentation cédant au jeunisme pour les visages, et du postulat trop gros d'un culte satanique au Vatican (même si le scénario atténue ce dernier point dans son dernier mouvement).
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