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Critique de topocl


Cela commence comme un classique (bon) roman de guerre, . Basés à à Camp Price, dans le désert d'Afghanistan, paysage aussi splendide qu'inhospitalier, les soldats danois de la troisième section sont gonflés à bloc, sûrs de leur probité. Ils traînent les histoires personnelles qui les ont amenés ici. ils s'ennuient souvent, sont envoyés en patrouille, se livrent à des attaques protégées par la force aérienne. Il croient fraterniser avec la population. Ils sont convaincus de leur mission, même si parfois des loupés et des "dommages collatéraux" génèrent des états d'âme.

Et puis, il y a l'ignoble trahison, et la troisième section pète un câble, se soustrait à l'autorité, est prête à tout pour livrer sa vengeance. Et là, il s'avère que la guerre, c'est beaucoup plus compliqué. Les ennemis sont complexes : ces humains qui ont vécu toute leur existence entière dans un pays en guerre, cruel et imprévisible. Ils défient toute compréhension avec leurs croyances, leurs divergences et leurs fidélités; les relations des populations locales avec les talibans, le rôle des chefs de guerre sont insaisissables pour l'observateur occidental naïf. Et s'en mêlent l'armée américaine, les soldats britanniques, les milices, les sociétés mercenaires, les renseignements danois, les technologies de pointe … Cela devient une sacrée débandade, une marche forcée obsessionnelle où il faut sauver sa peau coûte que coûte.

Et justement, cela coûte très cher. Il n'y a plus aucun repère, plus de bien ni de mal, plus de vrai ni de faux, plus de civilisation ni de barbarie, plus d'amis ou d'ennemis reconnaissables. Ils n'ont plus aucune certitude, le monde n'est plus que questions et danger.Ils n'ont d'autre option que d'avancer dans cette vertigineuse descente aux enfers, guidés par le radar de la survie, ballottés dans une cascade de choix de Sophie. On assiste à une effroyable escalade de la violence (Jensen ne lésine pas, il faut bien le savoir), de non-sens, une absolue perte de contrôle. La guerre n'est plus une stratégie sérieuse qui répond à des lois, c'est une immense manipulation, un jeu vidéo géant, dont nul ne connaît plus les limites.

Ce roman est terrible car il est parfaitement maîtrisé, contrôlé, s'appuyant sur quarante ans d'expérience de l'auteur en Afghanistan. C'est un triller parfait sans relâche, sans temps mort, sans concession au politiquement correct, avec une écriture, dense, implacable, chirurgicale (âmes sensibles s'abstenir). Chaque personnage se déploie, dans l'enchevêtrement de ses contradictions, et je me suis curieusement totalement identifiée à ces personnages pourtant si différents de moi, aux aspirations et à la vie si étrangères à la mienne qui voient s'écrouler leur monde fantasmatique au profit de la réalité de la guerre dans cette espèce de tourbillon de folie et de violence où les circonstances les entraînent. Ils sont médusés, annihilés. Ils n'abandonnent pas leurs illusions , ce sont leurs illusions qui les abandonnent. Il est ridicule de dire qu'ils ne rentreront pas indemnes : en fait ils ne rentreront pas, ils abandonneront derrière eux leur peau originelle. Ce monde est si terrible qu'il n'existe que peu de mots pour le décrire - cependant Carsten Jensen a réussi à en faire ce roman impitoyable dont on sort un peu dévasté par sa propre ignorance, son impuissance et le caractère dérisoire de ses propres petits problèmes.
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