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Critique de HordeDuContrevent


Apprendre à se noyer…Apprendre à couler…Apprendre à suffoquer…Apprendre à lâcher prise lorsque le pire est arrivé.

Apprendre à se noyer dans les larmes, dans le marais du chagrin, dans le cloaque de la honte, dans l'océan de la culpabilité.

Peut-on apprendre d'ailleurs ? Lorsque son propre enfant meurt ? Par sa faute, par défaut de vigilance, par excès de confiance, par excès de vie…A défaut d'apprendre, est-il possible d'accepter en défiant la mort ?

Accepter de se noyer…Accepter de couler….Accepter de suffoquer….Accepter de lâcher prise lorsque le pire est arrivé. « Un jour de plus sur le Chemin. Son coeur était lourd, mais son corps tenait bon ».

Ce livre est un conte tragique, un conte initiatique, horrifique, sur la disparition d'un enfant vécu par un père. Un récit à la fois cruel et poétique, intime et délicat qui m'a fait l'effet d'une claque. Un cri. Nous sommes dans la jungle, sans doute en Amérique du Sud, peut-être en Amazonie, un père emmène son fils de sept ans pêcher, l'autorisant pour la première fois à s'aventurer au milieu d'un fleuve dont les eaux, chargées du poison d'une certaine plante, au courant rapide et envahies de poissons menaçants, sont à la fois généreuses mais, nous l'aurons compris, extrêmement dangereuses. le rite d'initiation, qui offre des scènes idylliques de connivence entre un père et son garçon, va tourner au cauchemar lorsque le petit garçon disparait subitement, englouti par un requin.

« A ce moment-là, le sourire sur le visage du garçon était un soleil ».

C'est alors de la détresse absolue et intime d'un père dont nous sommes les témoins, un père qui va fuir pour ne pas affronter la douleur de la mère, un père éperdu de chagrin, rongé de remord, de culpabilité. Un père qui va tenter de rechercher son enfant. L'homme va débarquer sur un rivage hostile peuples de tribus craintes, de chamans mystérieux et de vieilles sorcières, transformant le récit en un conte fantastique et baroque, dans lequel les inspirations dans d'autres contes sont très nombreuses, je n'ai pu m'empêcher de penser notamment à Peter Pan et le capitaine Crochet (dont le crochet frémit dès que le crocodile approche) ou encore à cette fameuse scène coupée dans Pinocchio dans laquelle Gepetto, le chat Figaro et le poisson Cléo, avalés vivants par une baleine, commencent à mourir de faim au sein même du ventre du cétacé...J'ai senti également la présence de contes plus liés à la culture amérindienne, leur exotisme renforçant la flamboyance du récit, leur message étant proche des enseignements édictés par les peuples premiers, des enseignements plein de sagesse. Ainsi, les sermons édictés par la vieille sorcière alors que l'homme est quasi-mort et certainement drogué :

« Il y a un poison dans ton esprit qui brouille tout. Je t'ai amené ici. Tu crois qu'un enfant, que ton enfant, est spécial. Pourtant tu es imprégné de l'odeur de la chasse. Tu tuerais un enfant pour assouvir ta faim, comme la plupart le feraient »

L'écriture n'est pas en reste et nourrit cette flamboyance. Elle enroule le lecteur telle une liane pour mieux l'étouffer, serrant parfois davantage pour asphyxier, desserrant son étreinte ensuite pour mieux redonner espoir, passant par-dessus les yeux pour mieux embrouiller et jouer avec les clairs obscurs. L'écriture est un entrelacement de lianes courtes et de lianes longues. En effet, parfois l'épure permet de dire beaucoup en seulement quelques mots. Des injonctions que le lecteur s'est sans doute dit lui-même. Quelques mots quand le drame survient. Puis des phrases de plus en plus flamboyantes, baroques, sauvages, à l'image de la jungle, à l'image des pensées confuses du père, pleines de circonvolutions inattendues. Et nous d'haleter ne sachant pas ce que va devenir ce père, si même il est toujours vivant ou déjà dans un autre monde, donnant lieu à des scènes d'un onirisme magnifique…

« Encore un pas. Les murs autour de la clairière s'opacifièrent. La lumière rouge éclaira une surface qui ondulait devant lui, une superbe salle voûtée de pierre dure envahie de lianes mouvantes. de l'eau semblait couler des fissures dans la pierre, au mépris de la gravité, nourrissant le feuillage. Des fleurs s'épanouissaient avec fluidité et laissaient échapper un liquide clair de leurs pistils. Des cosses libéraient des spores et des insectes rongeaient les feuilles ou s'entredévoraient, et l'homme n'était pas sûr de devoir faire un pas de plus. Plus la lumière rouge brillait, plus la vie autour de lui tressaillait, se développait et son appétit croissait ».

Ce livre est un détonateur…petit par la taille, grand par la déflagration émise. C'est une fable inoubliable sur l'amour, sur la mort d'un enfant, sa disparition et la possibilité pour les parents d'avoir le courage d'accepter, malgré tout. A noter qu'à la suite de ce récit, à la fin du livre, parole est donnée à d'autres parents qui ont vécu des situations semblables…ces récits de vie à la toute fin du texte m'ont bouleversée. Un chapelet de morts pour connaitre l'infinie cruauté du monde, afin de tenter de l'accepter, le cas échéant…

Apprendre à accepter.

Merci à Nicola (@NicolaK) et Marie-Laure (@Kirzy) à qui je dois cette lecture !



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