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Critique de 4bis


Il y aurait bien d'autres choses à faire, des livres sérieux sur lesquels réfléchir, des critiques à écrire sans compter tout le reste. Mais voilà, ces derniers temps, l'humeur au vague à l'âme porte mal à l'élaboration intellectuelle et j'ai préféré me plonger à nouveau dans un livre que j'aime et que je connais bien.

C'est une amie très chère qui me l'a offert il y a quelques temps déjà, étonnée et ravie de voir que je ne le connaissais pas. Un grand livre au beau papier mat et aux couleurs presque passées dans lequel Nicolas Jolivot dessine, mois après mois, les plantes, vues et bestioles de son jardin.

Intercalée à ce carnet de voyage domestique, l'histoire du terrain en bord de fleuve, de cette maison qui fut celle de lavandières au début du 20e siècle et qui reste depuis dans la famille de l'auteur. En pierre de tuffeau, « avec son ordonnancement tripartite, dont une pièce de part et d'autre de l'escalier central, la bâtisse ressemble à celles de la ville construites à la même époque, mais avec des dimensions si modestes qu'elles lui donnent des airs de maison de poupée. » A côté de ce texte, des vues de la façade principale, du côté est et de ces cale-volets « bergère » que je connais bien.

Au fil des pages, l'histoire du lieu, de la terre arable qu'il était au jardin tel que nous le découvrons. On nous raconte les crues de la Loire, celle de 1866, spectaculaire, il reste d'ailleurs dans les murs du clos la marque des eaux et la date qui a associé quelqu'un selon une pratique fréquente « dans ce pays d'eaux mouvantes et de pierre facile à creuser ». Mais aussi la vie de ses habitants, génération après génération, les lingères, le petit Jacques, le souvenir jusqu'au présent où nous déambulons aussi.

Selon que l'on y cherche le récit de la transformation sur le temps long, une organisation des rapports entre l'homme et les flux de son environnement, les croquis de scènes ordinaires, l'attention botaniste à la faune et la flore de nos pays, on se perdra différemment dans ces pages, on y rêvera de ceci ou de cela.

« le jardin vu du ciel » m'emmène dans le mouvement des eaux récupérées des toits, conduites dans des bassins où poissons, alvins, crapauds et libellules suscitent autant d'observations émerveillées. Je caresse les vignes, feuilles brillantes et drues des acanthes, écoute l'histoire des anémones du Japon, corètes et clématites, celles qui disent les modes passantes, le goût d'un temps pour les chinoiseries. Je souris aux mésanges à longue queue, rouge-gorge, chardonnerets qui peuplent les pages parmi les gendarmes, loches rouges, coccinelles et patiences à feuilles obtuses à côté du mouron des champs.

Je jubile aussi quand je lis : « quatre ! Je suis sidéré, tout aussi ravi ; quatre petits hérissons se promènent en traînant leur jupes de poils sur les feuilles mouillées. Une portée entière ! » Les petits sont nés au jardin, « dans le tas d'herbe oublié depuis des mois au pied du vieux cerisier ». Magie de ce qui se produit sans qu'on fasse rien et nous offre les splendeurs de son humble déploiement. Pinsons et troglodytes mignons répondent à ceux, croisés ce matin, dont l'intensité du chant, si puissant relativement à leur petite taille, me stupéfie toujours.

Puis, pour clore cette promenade revigorante au jardin, je parcours les pages qui me parleront des temps présents, remonte juste en février pour cueillir la stupéfiante évolution des iris – ils sont plus précoces que les miens dont on ne voit aujourd'hui pas encore même le premier stade – en trois semaines et cinq dessins, du bouton à peine deviné comme prolongation d'une feuille à l'exubérante fleur dont je crois saisir le parfum doucement enchanteur alors que sa profondeur d'encre indigo me transporte d'un soupir extasié. Nicolas Jolivot les a ramenés du toit d'un moulin où ils avaient été plantés pour retenir la terre et absorber de leurs robustes racines les excès d'eau. A défaut d'un moulin à restaurer, ce que sa bourse ne lui permet pas, ces « iris, une façon de penser au tout par le détail » qui me parle bien.

Mars, je cherche les plantes et les insectes que j'héberge aussi chez moi : coccinelles, muscaris, heuchères et anémones. Les premières tulipes, l'herbe à Robert, le myosotis qui n'oublie pas. Jacinthes et giroflées encore en bouton. Narcisses, Hellébores finissantes.

Tourner et tourner les pages encore, revenir en arrière, chercher dans l'index, ouvrir le livre au hasard, découvrir un croquis qui m'avait échappé jusque-là, dans les pas familiers de lieux connus, s'émerveiller des entrelacs d'un temps long et d'une maturation toujours en cours, saluer la dextérité tant de l'insecte saisi par le pinceau que de l'artiste qui la rend, devenir pour quelques minutes, rassénérée, l'hôte bienvenu d'un jardin de mots et d'aquarelles.
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