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Critique de ninachevalier


L'homme qui ne savait pas dire non de Serge Joncour
( Flammarion – 297 pages )

Imaginez votre quotidien privé de « cette simple molécule de langage » qu'est la syllabe «  non ». C'est pourtant le handicap de Grégoire Beaujour, chargé d'enquêtes,
de questionnaires pour l'agence « Opinion Factory ». Incapable de formuler ce mot essentiel, il se retrouve confronté à de multiples situations quasi inextricables.
Comment réussir à dompter un GPS bavard et récalcitrant ?
Pas facile de gérer la forêt de sollicitations tous azimuts : au marché au bureau, à la cafétéria, dans le métro.
Comment décliner une invitation, répondre à un texto, refuser un café, des tracts, des journaux ? Quand descendre d'un bus qu'on n'avait pas l'intention de prendre ? Comment négocier avec son patron une entrevue, un autre jour que le samedi ?

C'est tout le talent de Serge Joncour de tirer les ficelles. En réponses : une cascade de
scènes hilarantes imparables, à la manière d'un film de Charlot.
On peut ajouter les politesses à la japonaise, les gestes matinaux conditionnés par le programme radio, le choix d'une cravate «  cet instrument indispensable pour déjeuner dans un prestigieux restaurant », le bébé qui le désigne en hurlant, la séquence chez le dentiste.
Même si la tare de Beaujour devient un atout pour sa vie professionnelle, le gratifiant d' une promotion (« sondeur à gages »), de félicitations pour l'invention des« QCU :
questions à choix unique », lui offrant le privilège de partager le bureau de Marie-Line, il reste conscient de comptabiliser un record de « oui ».

Taraudé par une amnésie, il décide de suivre des séances d'écriture, « territoire fascinant », ayant été convaincu que « chaque être est le fruit d'une somme de biographies et que le présent se rédige sur les sensations passées ».
Il applique les conseils du maître de Richepin à la lettre : « brodez, brodez pour faire parler les mots. Chacun étant le dépositaire de l'histoire des siens ».
Ainsi, il rembobine son histoire familiale, remontant à plusieurs générations. Il autopsie son passé : « le passé étant à chacun ce que le brouillard est à l'accident : responsable de rien mais cause de tout cependant ».
Le retour aux sources est l'occasion pour l'auteur de comparer la vie de ses aïeux à celle de ses parents, de montrer combien le progrès a révolutionné les loisirs, l'habitat, laissant entrevoir « un frisson de nostalgie, quand le monde était une allégorie d'allégresse, une offrande, la vallée onctueuse, heureuse, où l'eau serpentait dans l'émeraude des prairies ».
En filigrane, l'auteur épingle la politique menée, la société de consommation, les ratés de l'électronique. Il revisite son enfance, une publicité mettant en scène un bébé dans une bulle ainsi qu'une photo de nourrisson emmailloté, ayant déclenché les réminiscences des événements majeurs de sa vie depuis sa naissance, sa communion, rejoignant « l'enfant calfeutré en lui dans un diaporama de souvenirs intacts ».
Cette thérapie jugulera-t-elle son blocage?Agira-t-elle comme catharsis ?
Serge Joncour sait ménager le suspense. le roman se termine sur un gros plan :
le pique-nique improvisé, en tête à tête, de Marie-Line et Beaujour, mettant en lumière l'idylle naissante. Scène conjuguant tendresse et poésie devant l'émerveillement de la beauté de la nature si généreuse.

Dans ce récit à deux voix, rien de superficiel sous une légèreté de ton, l'auteur y soulève des questions de société comme les sondages orientés pour manipuler l'opinion, l'âge de la retraite, le travail dominical, les familles recomposées.
Serge Joncour distille des réflexions sur la vie à portée philosophique: «  La vie est un fleuve aux rives qui se rapprochent ». On retrouve avec plaisir son humour corrosif, son imagination fertile générant une pléthore de comparaisons ( «  le parking de l'hypermarché ressemble à une grande marelle », « les sourires des enfants sont des soleils de poche »), l'acuité de regard de l'observateur hors pair qui sait traquer les manies et les travers de ses semblables et brosser des portraits très détaillés.
Sa créativité forge une pléiade de formules originales, inattendues, drôles : « la bière du Japon est tellement légère qu'elle ne saoule que de l'intérieur ».
Comme Beaujour, laissez-vous « caresser l'âme par ces formules prometteuses »,
car avec le roman de Serge Joncour, vous avez de « beaux jours » de lecture à venir.
Craquant, époustouflant, incontournable.
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