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Critique de gabb


gabb
05 novembre 2022
Ça commence en 1976, avec le terrible épisode caniculaire qui ravagea les campagnes françaises, et ça se termine en 1999, avec l'effroyable tempête qui causa tant de dégâts à travers le pays.

Entre ces deux événements climatiques, trente-trois ans se sont écoulés.
Trois décennies de mutations radicales et de développements économiques profonds, trois décennies de bouleversements sur tout le territoire, depuis l'installation massive des lignes téléphoniques jusqu'à l'avènement du nucléaire, en passant par la prolifération des hypermarchés (et le déclin concomitant des petits commerces), la passation de pouvoir entre Giscard et Mitterrand, les projets d'autoroute au coeur des campagnes, l'essor de l'agriculture intensive et l'emballement incontrôlable d'une société de consommation toujours plus insatiable et mortifère...
Trois décennies, enfin, que Serge Joncour nous invite à vivre aux Bertranges, dans un hameau perdu du Larzac, sur cette terre du Lot si chère à son coeur et si inspirante pour lui.
C'est là, dans la ferme des Fabrier, en compagnie d'Alexandre, que nous assistons au spectacle saisissant d'un monde qui s'emballe.

Et quelle position délicate alors pour le jeune agriculteur !
D'un côté ses parents, fidèles aux traditions du terroir mais très vite dépassés par la multiplication des normes et des obligations nouvelles auxquelles se trouve soumise leur exploitation, bien décidés à préserver leur mode de vie et néanmoins conscients des difficultés qui les guettent.
De l'autre ses trois petites soeurs, beaucoup plus sensibles aux sirènes de leur temps et qui se rêvent en citadines modernes. Toutes trois auront d'ailleurs tôt fait de quitter la ferme pour gagner Toulouse ou Paris, définitivement ("dans les campagnes, tous les fermiers le savaient, une fois que vos enfants avaient goûté à la ville, il n'en revenaient plus").
Et au milieu de tout ça Constanze, la belle militante écologiste. La ferveur de son engagement - mais surtout l'éclat de ses beaux yeux - inciteront bientôt Alexandre à nouer contact avec l'un de ces petits groupes d'activistes très impliqués, dans les années 70, en faveur de la protection du causse du Larzac. S'ouvrent alors de nouvelles perspectives...

Les thématiques abordées dans Nature Humaine sont donc nombreuses.
Elles couvrent une période historique très dense sur les plans politiques, économiques et sociaux, et nous interrogent pêle-mêle sur la notion de progrès ("c'est comme une machine, ça nous broit"), le poids des héritages et des traditions familiales, la désertification des campagnes et le sort réservé à la ruralité dans nos sociétés modernes, la gestion de nos territoires et de nos ressources, les conséquences de la mondialisation et de notre appétit toujours plus prononcé pour la vitesse, la productivité, la rentabilité...

De sa plume simple et belle, sans fioriture et pleine d'humanité, Serge Joncour dresse une rétrospective captivante et un brin nostalgique d'une époque de grands changements, une époque charnière où l'on sentait confusément qu'un monde était sur le point de s'éteindre mais où tous les idéalismes étaient encore permis. le personnage d'Alexandre, sur lequel pèse de grandes responsabilités et qui semble comme coincé entre deux générations, écartelé entre un passé révolu et un avenir incertain, est particulièrement attachant.
Depuis sa ferme des Bertranges, il voit son univers se décomposer et s'accroche par conséquent à la jolie Constanze comme à une bouée de sauvetage.
Tandis que partout les mutations s'accélèrent, que le drame de Tchernobyl remet en question le nucléaire français et mobilise les contestataires, que les farines animales britanniques font planer la menace de la vache folle jusqu'au fin fond du Lot et que bientôt un viaduc viendra défigurer la vallée, le jeune homme doit continuer à s'occuper des bêtes et tenter d'enrayer le déclin de l'exploitation familiale.

Noble combat, s'il en est, et joli regard plein d'empathie porté sur la nature, sur les hommes qui la peuplent et sur les forces irrépressibles de ce que nous appelons "progrès", ce moteur puissant qui transforme nos vies pour le meilleur et pour le pire.
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