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Critique de EvlyneLeraut


Étonnant, superbe, unique, « Roman géométrique de terroir » est un edelweiss à flanc de rocher. Ce genre de roman qui attise une fierté de lecture. Original, précieux, ce livre est une pépite, un lâcher de crayons de couleur.
Une renaissance éditoriale dont on doit la chance à Monts Métallifères Éditions.
Publié pour la première fois en 1969, et « signé par un auteur de 22 ans  et remarqué par Peter Handke ».
Gert Jonke est un funambule, au sacré côté enfant libre. Un écrivain atypique, son roman le prouve.
La construction même du récit échappe à la normalité. Ici, c'est la géométrie d'un village qui est décrite voire dévoilée. Pierre après pierre, ligne sur ligne, angle et ombre, lumière et mouvement. L'écriture orpheline est un apprentissage pour le lecteur (trice). Ce style est une échappée dans un genre affirmé, original, libre, immensément libre à l'instar de Diogène.
Plusieurs degrés s'entrouvrent comme des tiroirs. Se referment mais laissent des myriades d'étincelles pour le plaisir des yeux. La typographie est une marelle entre ciel et terre. Croyez-moi, ce livre est une gageure.
« La place du village est un carré, elle touche les maisons réunies autour d'elle, rues et chemins y débouchent... »
L'incipit serait comme une image d'Épinal, mais qui prend vie. Une cloche qui annonce la récréation. Les descriptions au scalpel, un village sans nom, judicieusement, comme tous les travers de l'humanité. Gert Jonke bouscule les codes littéraires. Ici, vous avez la géométrie dans une oralité où l'imaginaire même, trace les plans. Une satire politique, dévorante de sous-entendus. La bureaucratie à outrance, les règles de bonne conduite, un village papier calque de nos idiosyncrasies.
On rit, on sourit, on est en transmutation dans cette parodie funambule.
« C'est pourquoi on considère en haut lieu que le meilleur, le plus efficace fonctionnaire est celui qui a chez lui le plus grand nombre de pots de fleurs et à son actif le plus grand nombre de cuites à l'eau de vie. Oui, c'est ça. »
Chapitre après chapitre, le village est transpercé. Rien n'échappe au regard d'aigle d'un auteur qui s'amuse à nous surprendre, nous réjouir, et nous interpeller.
Ce serait comme un manège avec des chevaux en bois qui tourne à vive allure et qui n'a jamais dit son dernier mot. L'énergie pétillante des phrases, les ambiguïtés à peine masquées, les facéties et les avertissements, « Roman géométrique de terroir » est dans un registre d'humour incomparable. Mais derrière l'artiste au nez rouge, c'est l'arbre que cache la forêt. Ce texte de renom sonne comme un avertissement.1969-2023, et pourtant il résonne dans notre contemporanéité.
« Les personnes en tenue de travail, à deux par banc, ont emporté les bancs de la place du village pour les installer bien alignés sur un pré à la sortie du village… Puis, j'ai appris qu'il y avait eu un rapport sur les oiseaux qui risquaient de revenir. Apeurés, les gens chuchotaient dans leurs maisons… Quand le chant strident du nuage des oiseaux nous enveloppe et déchiquette nos pensées. »
« Roman géométrique de terroir » est la caricature de notre monde. « La nouvelle loi » est la traversée de notre propre miroir.
C'est une fable politico-comique. La clef de voûte d'une littérature grandiose, épique et surdouée. Traduit de l'allemand (Autriche) par Uta Muller et Denis Denjean. Les Éditions Monts Métallifères sont remarquables et à suivre des yeux.
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