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Critique de Patsales


Maria Alberta Nunes Amado est une sérieuse concurrente pour Miss Marple. Elles ont en commun de savoir que le monde n'a pas besoin des confins de l'univers pour se déployer. L'une prétend que son village de St. Mary Mead est un précipité d'humanité où elle a tout appris de ses semblables; l'autre, délestée de ses atlas, découvre que le monde entier se retrouve dans sa maison de retraite: aides-soignants de toute nationalité, pensionnaires de tous milieux, et elle qui regarde et prend des notes, qui découvre des secrets et, comme son illustre devancière, résout des mystères (car qui d'autre qu'elle pour régler la mort du sergent Joao Almeida?) et recueille les confidences amoureuses, surtout celles des jeunes filles qui sentent la bergamote.
On ne s'ennuie donc pas à l'Ehpad du Paradis, quand une invasion de fourmis tourne à l'Iliade domestique et qu'un désir de suicide nécessite des ruses d'agent secret.
On ne s'y ennuie pas mais rien ne permet d'y oublier la décrépitude physique: ni la coiffeuse qui ne veut plus exercer, puisqu'on lui reproche de ne pouvoir ressusciter une beauté irrémédiablement fanée, ni le photographe qui veut exhiber les tares de la vieillesse pour faire de l'art, ni les jambes qui ne portent plus, ni les poignets devenus inertes, ni les employés qui vous déposent comme un paquet, tournée contre le mur pour ne pas gêner le passage.
N'est-ce pas cela surtout qui fait peur dans la vieillesse, de perdre toute autonomie, et toute intimité, de ne plus rien avoir à soi, d'être dépossédé de tout objet comme de son corps, qui appartiennent désormais autant aux autres qu'à soi-même?
Mais Alberti a trouvé la solution : "Je me suis dit que l'Hôtel Paradis, de temps en temps, cessait d'être un lieu d'exil pour être un jardin d'enfants". Puisque, aussi incapable qu'un nourrisson, elle est langée, nourrie, promenée, soignée (et qu'elle ne s'avise pas de recracher sa pilule du soir), elle retrouve les armes du premier âge: elle râle, rouspète, proteste, fulmine, rouscaille et refuse résolument tout. le globe lumineux que lui apporte son gendre. Nan. Les conceptions littéraires de sa fille. Nan. le bonnet de Noël des fêtes de fin d'année. Nan. C'est là son libre-arbitre. C'est ce qui lui permet d'exister, d'être autre que ce que les gens autour d'elle veulent qu'elle soit. Et ça balance sec. Ensuite, ma foi, elle acceptera que son gendre lui installe la télé, que sa fille écrive des livres qui finissent trop mal pour qu'on les achète et sera ravie de regarder le feu d'artifice de la Saint-Sylvestre., (telle Isa qui dans "Les Poupées russes" jure qu'elle ne participera jamais à une chenille avant de devenir la plus frénétique des invités sur la piste de bal).
Mais pourquoi Alberti ne ressemble-t-elle jamais à l'odieuse petite fille qu'on a tous eu envie de baffer un jour de long trajet ferroviaire? C'est qu'elle est infiniment drôle, qu'elle se moque d'elle-même avec un aplomb jamais pris en défaut, d'avoir crié au voleur pour un objet qu'elle avait trop bien caché, d'avoir confondu son poudrier avec un gâteau dodu, d'avoir prévu une entrée de drama queen quand personne ne s'était aperçu qu'elle avait failli mourir...
Mais toute cette autodérision ne m'a pas empêchée d'avoir la gorge serrée quand Alberti a été atteinte du Covid. J'ai reconnu mon chagrin d'enfant, quand la chèvre de M. Seguin s'était battue jusqu'à l'aube pour un combat perdu d'avance. Maria Alberta Nunes Amado a laissé sa chronique et ses bouts-pas-toujours-rimés en plan et sans doute que d'avoir fini par dire oui après tant de nons farouches a dû la faire sourire.
((Merci Booky, merci Florence)
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