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Critique de Tom_Otium


J'ai découvert François Jost par hasard, à la bibliothèque. À côté des DVD il y avait un rayon ciné/télé où j'ai dégoté un petit essai sur les séries américaines. Dans cet autre petit livre, cette fois sur la télé-réalité, j'ai retrouvé tout ce qui m'avait impressionné lors de ma première lecture de cet auteur : des analyses pertinantes et un style très agréable à lire, intello mais pas trop. Ce court texte commence par les deux niveaux classiques d'étude d'un phénomène : le comment et le pourquoi. Comment ce genre télévisuel a-t-il émergé, à la fin du 20e siècle ? (Chap I - L'invention de la télé-réalité). On a d'abord droit à un rapide historique et à quelques définitions mais ça n'est pas toujours très clair. L'auteur définit ce qu'on appelle un "format" de cette manière : "Une liste de contraintes qui définissent un programme et assurent sa « substance » globalisable, au-delà des « accidents » locaux que sont les multiples variantes qu'il peut subir sans perdre son identité. le format permet de décliner des « concepts » qui fonctionnent et traduisent les aspirations du public". Mieux vaut avoir de la culture en général et de la culture audiovisuelle en particulier. Je disais donc, les "aspiration des Français" (car le focus est sur la France), quelles sont-elles ? Elles consistent "à toucher le réel, auquel la télévision, d'abord fenêtre sur le monde, ferait écran." François Jost insiste beaucoup sur cette fausse promesse, ce mythe de la réalité de la télé-réalité. Ni fenêtre sur le monde, ni miroir de la société, la télé(-réalité) serait le symptôme d'une société malade (Chap II - La télé-réalité comme symptôme). le sémiologue développe une vision assez pessimiste de la nature humaine. "Ces émissions jouent sur des pulsions [que les téléspectateurs] réprouvent, mais qu'ils éprouvent malgré tout" : voyeurisme et même sadisme, narcissisme ou égoïsme. Tout est fait pour flatter nos bas instincts et notre volonté de puissance. Devant notre poste (et maintenant nos réseaux sociaux), nous sommes omniscients et omnipotents. C'est nous qui décidons qui perd (le paresseux, l'orgueilleux ou le colérique) et qui gagne (celui qui travaille dur ou tombe amoureux). La religion ou la psychanalyse sont ainsi mises à profit pour penser ce phénomène. Personnellement je serais davantage allé du côté de la psychologie sociale et évolutionniste. Et de choses plus terre à terre. Comme le simple plaisir de voir sans être vu, d'observer de nouvelle têtes et de pouvoir les juger tranquillement depuis son canapé.


Mais François Jost poursuit son analyse (Chap III - La télé-réalité, soluble dans le divertissement), et ça devient passionnant quand il évoque la banalisation et la professionnalisation de cet univers. Il est loin le temps des débuts de Loft Story, de la naîveté voire de l'utopie qu'on allait vivre une expérience qui allait stimuler notre curiosité intellectuelle. de Loft Story à Secret story, de l'authenticité promise à la manipulation assumée, il est toujours question d'histoires que l'on veut qu'on nous raconte. Mais on veut y croire à ces histoires, et c'est là que le bât blesse. Nous n'y croyons plus et nous perdons alors notre intérêt. Il faut dire que l'intérêt est avant tout économique : pas de scénariste à embaucher, pas de texte à apprendre ni d'acteurs "bankables" grassement payés. Alors peut-être faudrait-il (mieux) les payer justement. Car "il s'agit d'un travail, entendu ici comme une relation de subordination à un employeur et défini par l'exécution de tâches sous son autorité." Certains ex-candidats ont beau se plaindre, ils ne sont pas dupes : "ceux qui se présentent à ces émissions ont des motivations d'accession aux médias et des songes de peoplelisation." Et ça marche ! Quelques élus sont devenu de vraies stars comme Kim Kardashian ou Nabilla, gagnant beaucoup d'argent grâce à leur image et à la notoriété ainsi acquise. C'est la dernière question que pose le bouquin : "la télé-réalité est-elle l'avenir de la télévision ?" A l'heure où j'écris ces lignes, Koh Lanta est en trending topic sur Twitter et j'ai pu dénombrer près de 150 émissions classées "reality" sur Netflix. Force est de constater que le scepticisme de l'auteur ne s'est pas prophétisé (l'ouvrage a été publié il y a plus de dix ans). J'ai regardé beaucoup de télé-réalité ces derniers temps, et j'ai souvent eu ce gros doute, cet agacement d'être pris pour un imbécile, de ne pas savoir distinguer le vrai du faux. Il y a sans doute plus de fake que d'authentique mais est-ce si grave ? On peut préferer un personnage, certes caricatural à une personne (trop complexe pour la télé). Ce genre a atteint la maturité malgré qu'il soit souvent cheap et hyper formaté. Mais nous aussi nous sommes formatés. La nourriture, la maison, la mode et l'esthétique, les relations, le travail ou la compétition, tout cela constitue un véritable "instinct du consommateur". En ce sens il n'y a pas de raison que ça disparaisse de sitôt.
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