AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de domi_troizarsouilles


J'ai lu ce livre dans le cadre d'une lecture commune portant sur une « pépite méconnue ». Méconnue peut-être, mais surtout exceptionnelle ! Comme l'indique plus ou moins bien le 4e de couverture, on a là l'histoire de la jeune Nour et de sa famille (sa mère et ses deux soeurs plus âgées). Née aux États-Unis au sein de cette famille syrienne, c'est à la mort du père, que la mère décide de retourner en Syrie. Elles y sont depuis à peine 3 mois que la guerre éclate : leur ville et leur maison sont bombardées. Devant choisir dans l'urgence entre une reconstruction qui semble impossible ou la fuite, cette famille décide de partir sur les routes, comme tant d'autres réfugiés en devenir, espérant un accueil improbable au bout du chemin. Pour toutes « armes », Nour, encore en plein processus du deuil de son père, n'a que quelques dollars cousus dans les languettes de ses baskets, et les histoires que lui racontait son Baba, histoires parmi lesquelles ressort celle du grand cartographe Al-Idrisi (qui a réellement existé !) et ses apprentis (fictionnels quant à eux) Rawiya et Khaldoun, qui a été le premier à représenter sur cartes tout le pourtour méditerranéen, au cours d'un voyage mémorable. le même voyage que Nour et sa famille s'apprêtent à faire…
Et ainsi, l'histoire quelque peu légendaire de Rawiya et ses compagnons s'entremêle et s'entrecroise avec celle beaucoup plus contemporaine, et terriblement réaliste, de Nour et sa famille. Les (nombreux) obstacles dans le voyage de l'une font écho à ceux de l'autre, avec juste assez de similitudes pour qu'on y voie le parallèle, et juste assez de différences pour que ce ne soit jamais lassant. On ne se perd jamais dans l'une ou l'autre, car les noms et les contextes sont trop différents – avec pourtant des constantes qui touchent au plus profond : la permanence des guerres et autres affrontements, malgré leur absurdité, entre peuples et religions ; la dureté et rapacité de certains hommes (les passeurs, pourtant peu évoqués, en prennent pour leur grade !), contre la capacité d'accueil de certains autres, même quand ils semblent ne rien avoir eux-mêmes. de plus, pour les deux jeunes filles, ce voyage a quelque chose d'un voyage initiatique qui va les chambouler durablement. le seul petit regret, s'il en faut un, c'est que l'éditeur n'a pas eu l'idée de proposer une carte qui nous aurait permis de suivre le trajet de Rawiya puis de Nour. Certes, à l'heure d'Internet et avec des outils comme Google Maps, cela se trouve en quelques clics ! mais c'est vraiment dommage, pour un livre qui parle tant de cartographie, de ne pas avoir inséré quelques « illustrations ».
Cette double histoire qui semble parfois n'en faire qu'une, est portée par une écriture absolument sublime ! On est tout à la fois en plein récit légendaire, peut-être dans un conte façon 1.001 nuits, et dans un langage très contemporain plutôt soutenu – sans que l'un soit réservé à Rawiya ou l'autre à Nour, non : ces deux « niveaux » de langage, si l'on peut dire, sont présents en permanence, se rejoignent et s'unissent dans une même histoire, dans une même phrase, donnant une musicalité évidente à tout ce livre. Et c'est une musique très colorée, car on apprend très vite que Nour est synesthésique : chaque lettre de l'alphabet, mais aussi chaque petit évènement de la vie, prend une couleur particulière, que le lecteur partage avec elle, avec ravissement.
On l'a compris : tous les personnages sont très attachants, à des degrés divers bien sûr, ce sont bien Nour et Rawiya qui sont sur le devant de la scène ! Et les deux suscitent des questionnements qui vont bien au-delà du plaisir de la lecture : ça va d'un certain regret que des scientifiques (car il s'agit bien de cela) tels qu'Al-Idrisi aient tant tardé à être reconnus par un certain Occident alors très chrétien ; le constat désolé que ces régions tellement riches d'histoire et d'hospitalité soient en permanence, encore et toujours semble-t-il, depuis la nuit des temps, déchirées par des guerres au nom d'un roi ou d'un autre, d'un dieu ou d'un autre ; et la question ultime : comment sommes-nous capables d'accueillir Nour et sa famille quand elles viennent frapper à la porte de notre maison tellement privilégiée ?...
Commenter  J’apprécie          10



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}