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Critique de Siladola


Le philosophe et sinologue François Jullien donne un livre d'entretiens aux Carnets de l'Herne, qui sont une version modèle réduit des fameux Cahiers du même nom. L'éditeur m'ayant généreusement envoyé un exemplaire dans le cadre de l'opération Masse Critique, je dois à Babelio le présent compte rendu, bien que n'étant nullement familier de l'oeuvre de François Jullien, ni, sans doute, à la hauteur des exigences d'une recension véritablement philosophique. J'ai néanmoins pris soin de lire deux ouvrages de l'auteur avant d'écrire : Du temps, éléments d'une philosophie du vivre, et De l'intime, loin du bruyant amour. J'essaierai donc de donner benoîtement une opinion personnelle, faute de disposer de la pertinence suffisante. Ces préliminaires achevés, captatio benevolentiae, que penser du livre d'entretiens ?
Après quelques débats intéressant l'intelligentsia, et qui doivent régler des querelles intestines - monsieur Jullien est-il ou non un authentique sinologue, peut-on être sinologue et philosophe, s'agit-il de littérature comparatiste etc. - les questions entraînent l'interviewé dans les labyrinthes réciproques de l'onto-théologie et de la langue-pensée chinoise. Cela est fort bien fait, on balaie rétrospectivement les Grecs, la scolastique, Foucault et Derrida, entre mille. Langue-pensée est une terminologie employée par François Jullien pour souligner l'écart (autre expression ad hoc) entre la philosophie rationnelle occidentale, qui opère par assimilation du réel à un langage censé trouver, entre les mots et les choses, l'adéquation de la vérité, et l'approche chinoise qui, au contraire ou différemment, unit de façon intime (autre concept) les signes et l'existant, tout en préservant les oppositions et la diversité.
Nombre d'idéogrammes apparaissent au cours de l'ouvrage, imprimé dans d'élégants caractères bleus sur un papier ivoire qui rend avantageusement la calligraphie.
Ainsi le Beau, idée (eidos) abstraite de l'universalité du sensible, reste en chinois une notion ancrée dans des termes adossés et complémentaires : "limpide/joli", "secret/élégant" etc. Parce que le peintre chinois cherche à transmettre l'esprit à travers l'image sensible, le nu, forme idéale des Beaux-Arts occidentaux ne se retrouve pas en Chine où le corps est tout juste un sac de "souffle/énergie". Le paysage chinois : "montagne/eau", "immobile/mobile", visible/entendu", conduit de la sorte au spirituel sans quitter le sensible.
Cependant, tel monsieur Jourdain, demandons-nous si tout un chacun, au train de François Jullien, ne ferait pas de la philosophie sans le savoir ? Les tics habituels de l'intellectualisme français (dé-construction, dia-logue, coupure ontologique...) semblent parfois introduire une complexité artificielle qui pourrait masquer des simplismes. Sous couleur de fabriquer des concepts (l'allusif et l'évasif, la fadeur, l'oblique), ne donne-t-on pas des noms nouveaux à des pensers anciens, suivant un parcours bien balisé déjà ?
A moins que je ne sois passé à côté d'une authentique novation : le propre du nouveau (au fond de l'inconnu...) est de surprendre et de passer inaperçu (transformation silencieuse, autre concept chéri de l'auteur), tant il demeure étranger aux cadres mentaux communs ? Chacun se rappellera volontiers l'éblouissement que fut apprendre à lire, ou, plus tard, de découvrir l'aoriste, ce temps/aspect du grec qui n'existe pas en français, et se prête si remarquablement aux vertiges de l'être.
Peut-être la philosophie de François Jullien ouvre-t-elle sur un extérieur inaccessible à l'esprit enfermé dans sa caverne platonicienne.
Quoiqu'il en soit, De l'écart à l'inouï vaut par le panorama qu'il déploie, l'introduction selon un dialogue, en somme très abordable, à l'oeuvre d'un philosophe contemporain de premier plan, et, au travers de celle-ci, par le passage en revue des grands topoï classiques de la pensée au prisme d'une culture chinoise qui semble résolument vouée à demeurer l'Autre de l'occident.
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