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Critique de ChatDuCheshire


***Je remercie Babelio et les éditions Presses de la Cité de m'avoir fait parvenir un exemplaire de ce livre à titre gracieux, dans le cadre d'une opération "masse critique"***
La lecture de ce livre a suscité en moi des sentiments mélangés : admiration, amusement mais aussi une certaine répugnance.
Admiration tout d'abord car il s'agit d'un premier roman, sorti par une auteure de 24 ans. On ne peut que s'émerveiller du style, brillant et drôlatique (chapeau en passant à la traductrice, Corinna Gepner, qui a réussi à traduire les nombreux passages en langue dialectale de manière absolument magistrale, évoquant d'ailleurs de nombreux autres dialectes, cela m'a notamment rappelé le... wallon parlé dans mon village natal) et du sens affûté de l'observation de l'auteure, Vea Kaiser.
Amusement car, j'y ai déjà fait allusion, le livre est très drôle. Une comédie montagnarde, évoquant "Clochemerle" ou "La guerre des boutons" version alpine autrichienne. Le héros principal est le jeune Johannes Irrwein, descendant d'une lignée "d'originaux" à savoir des hommes qui ont, à un moment de leur vie, quitté leur village de Saint-Peter-sur-Anger - depuis toujours isolé du reste du monde - pour s'en aller découvrir le vaste monde et, chose effarante à Saint-Peter, é t u d i e r..., pour finalement revenir au village dans des circonstances diverses. Johannes, féru de culture hellénistique classique, fan d'Hérodote dont il entend reprendre le flambeau d'historiographe, observe les petits et grands travers de ses concitoyens avec tout le sérieux que lui impose la mission dont il s'estime investi. Et lui-même bien sûr de tomber dans tous les travers de l'intello maladroit et quelque peu naïf (bon, lorsque nous quittons ce héros, il n'a encore que 17 ans: il a donc quelques "excuses"). Par un concours de circonstances il va se retrouver à devoir organiser un match de foot, sport abhorré par lui mais vénéré des autres villageois, et cette expérience va, pour faire court, rééquilibrer quelque peu sa vision séparant les "civilisés" (dont il fait partie, bien sûr) et les "barbares des montagnes" (dont il finira par réaliser qu'il fait partie, lui aussi).
Toute personne ayant vécu une enfance dans un petit village isolé, pratiquant un dialecte différant de la langue "standard" et qui, ne fut-ce que parce qu'elle lisait beaucoup, a de bonne heure été considérée comme un(e) original(e) se reconnaîtra au moins un peu dans ce livre, et rira de bon cœur à certains passages...
Bon maintenant il y a le côté négatif, à savoir une certaine répugnance, qui m'a accompagnée tout au long de la lecture de ce livre. Celui-ci révèle que, dans les petits villages isolés des Alpes autrichiennes, rien n'a finalement vraiment changé depuis la nuit des temps. Conservatisme extrême : rappelons que l'Autriche fut le berceau du nazisme, n'a d'ailleurs jamais été dénazéifiée, et que les partis d'extrême droite y réalisent régulièrement des scores étonnants. Patriarcat et sexisme : à Saint-Peter-sur-Anger la seule manière pour les femmes de jouir d'un semblant d'influence sur la chose publique consiste à faire partie de "l'assemblée des mères" - ce qui présuppose d'être mère de famille bien sûr : les femmes non mères n'existent pas - et encore: alors accéderont-elles au suprême pouvoir de décider quelles pâtisseries seront servies à l'occasion des matchs de foot hebdomadaires et autres décisions cruciales du genre. Rappelons que l'écrivaine autrichienne féministe, prix Nobel de littérature, Elfriede Jelinek a régulièrement été menacée de mort et a régulièrement vécu en "exil" en Allemagne, à l'instar d'une foultitude d'intellectuels autrichiens se sentant par trop à "l'étroit" en Autriche (pour d'autres raisons parfois, comme le fait d'être juif). Enfin cette société exsude une sorte de violence sourde s'exprimant notamment dans le cadre familial (le bouquin de Vea Kaiser en fournit des exemples qu'elle choisit toutefois de traiter sur un mode léger, léger, léger...).
Par conséquent le fait qu'une jeune femme de 24 ans sorte un bouquin qui, même s'il n'esquive pas la description des travers des villageois qui en sont les héros, semble finalement faire l'apologie de ces micro-communautés repliées sur elles-mêmes, sexistes et racistes, cela me pose question. Bien sûr le livre comporte une fin consensuelle, laissant entendre que le village s'apprête à s'ouvrir au monde et au "progrès" mais tout ceci semble bien invraisemblable, surtout dans le contexte historique actuel, précisément caractérisé par des replis communautaristes tous azimuts...
NB Je trouve dommage que l'éditeur révèle, en quatrième de couverture, l'un des ressorts principaux de l'intrigue. Heureusement que je n'avais pas lu cette quatrième de couverture avant d'être proche de la fin du bouquin !
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