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Critique de Cricri124


Quel livre étrange et dérangeant. Quand je l'ai refermé, je ne savais pas trop quoi en penser, je ne suis d'ailleurs pas certaine de le savoir encore aujourd'hui mais il a le mérite de bousculer les apparences.

Le tour de force de l'auteur est en effet d'être parvenu à transformer une situation scabreuse - des vieillards « de tout repos », « incapable désormais de se comporter en homme avec les femmes », s'offrant une nuit auprès de très jeunes filles droguées pour rester endormies - en une réflexion sur la vieillesse et la déchéance physique.

Eguchi, un vieil homme de soixante-sept ans, se rend la première fois dans cette maison aux belles endormies par curiosité sur la recommandation d'un ami. Bien qu'il ne se considère pas encore comme un de ces vieillards « de tout repos » (j'adore l'expression !), lui, qui a bien conscience de s'y approcher à grands pas, s'interroge sur ce qui les attirent auprès de ces jeunes filles soumises et vulnérables, véritables jouets vivants entre leurs mains, avec lesquelles ils ne peuvent même pas converser.

« Pour les vieillards qui payaient, s'étendre aux côtés d'une fille comme celle-ci était certainement une joie sans pareille au monde. du fait que jamais elle ne se réveillait, les vieux clients s'épargnaient la honte du sentiment d'infériorité propre à la décrépitude de l'âge, et trouvaient la liberté de s'abandonner sans réserve à leur imagination et à leurs souvenirs relatifs aux femmes. Était-ce pour cela qu'ils acceptaient de payer sans regret bien plus cher que pour une femme éveillée ? »

C'est une ambiance très intimiste dans les pensées que lui inspire cette expérience. Car il s'agit bien pour lui d'une expérience. D'une réflexion sur ce que les vieillards peuvent ressentir, il glisse vers les sensations qu'elle lui procure. La proximité des corps, les odeurs font naitre chez Eguchi des réflexions mais aussi des émotions et des souvenirs sur les femmes qui ont jalonné sa vie. Il n'est pas exempt de pulsions non plus. L'auteur entretient une atmosphère ambivalente à l'instar de la lutte intérieure qu'Eguchi se livre. Chaque nuit passée auprès de l'une de ces jeunes filles est une expérience unique qui fait resurgir des émotions différentes. Alors il y retourne encore et encore… Jusqu'où cette expérience le mènera-t-elle ? Répondra-t-elle à ses interrogations ?

« Qu'une fille aussi provocante que celle-ci, tout « entraînée » qu'elle était, pût être restée vierge, était de toute évidence le signe non point du respect des vieillards, ni de leur souci de tenir leurs engagements, mais plutôt de leur effroyable décrépitude. La virginité de la fille, par contraste, démontrait l'horreur de la vieillesse. »

Je vous laisse déduire comment Eguchi a acquis la certitude qu'elle était vierge…Rien n'est explicitement écrit mais l'auteur à l'art de cultiver par de menus détails un certain malaise. En confrontant la beauté de la jeunesse à la laideur de la vieillesse, il bouge les lignes, les tordant parfois, les transcendant d'autres fois.

Un livre vraiment étrange, assez déstabilisant – et pour le coup, pas de tout repos - à l'atmosphère à la fois feutrée et trouble sur la décrépitude, la solitude et la peur de la vieillesse dans lequel l'auteur semble chercher à racler des éclats de beauté enfouis sous un amas d'immondices.

« L'univers le plus inhumain devient humain par la force de l'habitude. Mille dépravations sont cachées dans les ombres de ce monde. »

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