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Critique de Nastasia-B


Oserai-je le dire ?… oserai-je prétexter cela ?… non, quand même, c’est un peu fort… mais pourtant j’y crois, voyez-vous, je m’en suis intimement persuadée, du plus profond de moi-même jusqu'à l'épiderme… J’ai un peu le trac avant de lâcher un truc comme ça… Bon, allez, je me jette :

Je considère Iouri Kazakov comme l’un des plus grands, si ce n’est LE plus grand, nouvellistes du patrimoine littéraire, toutes époques et toutes origines confondues ; excusez du peu ! Ça fait assez énorme dit comme ça, mais c’est toutefois l’exact reflet de ma pensée. J’en ai pourtant lu des tas, de nouvelles et pas écrites par des nains ni des mièvres, mais celles de Kazakov ont un effet sur moi incalculable et inaccoutumé : apaisant, bienfaisant, shootesque, nirvanesque (si vous me tolérez ces deux derniers termes).

N’imaginez pas de spectaculaire, pas d’emphase, pas de sujets déchirants, pas d’individus exceptionnels, pas de temps anciens d’une incomparable cruauté, pas de fantasmagories exacerbées, non, rien de tout ça. Rien que du très simple, du très sobre, du très naturel, des gens ordinaires dans les paysages ordinaires de Russie septentrionale.

Mais une élégance, une pudeur, une finesse, une profondeur dans l’évocation — indubitablement l’œuvre d’un grand esthète. Une âme sensible à toutes les formes du beau, celles — communes — mais si fortes du regard, celles plus sophistiquées de l’univers des sons, celles plus subtiles encore du monde des odeurs et des saveurs, bref, tout ce qui de près ou de loin peut imprimer une sensation, qu'elle soit tactile, thermique, hygrométrique, sentimentale, fruit d’une addiction ou d’un état second, amoureuse ou nostalgique.

La Belle Vie, oh oui, le bien nommé recueil, le bien aimé recueil, oh oui, la belle vie, oh oui, le coup de chance que d’avoir un tel recueil entre les mains, oh oui, que ça fait du bien de lire des lignes de cet acabit-là, croyez-moi.

J’avais adoré son précédent recueil La Petite Gare où il avait réussi à m’émouvoir même d’un chien aveugle et à me faire vibrer à l’unisson de l’animal lorsque ses instincts étaient assouvis. Ici, c’est le même bonheur à la lecture, absolument. Ici, c’est sur le destin d’une vieille dame en bord de cercle polaire arctique qui me touche au plus profond de moi, là c’est sur un alcoolique fainéant doué d’un organe vocal qui met tout le monde en état de grâce, là encore, c’est sur un couple timide aux manières un peu rudes qui n’ose pas trop s’avouer qu’ils se sentent bien ensemble, etc., etc.

Douze nouvelles, douze atmosphères, douze ambiances, douze moments volés à la vraie vie et enfermés entre ces pages, comme d’une belle fleur des champs qu’on cueille et qu'on veut conserver dans un bouquin pour qu’elle ne se fane jamais. Kazakov, le seul gars qui arrive à me faire rêver sur la Russie communiste des années 1950-60.

Il nous parle du grand nord, des littoraux de la mer Blanche, il nous parle des trains du temps de Staline dont on imagine aisément le confort, et pourtant, on aurait envie d’y être, de vivre et de voir ce que ses yeux ont vu, de posséder le même filtre que lui, qui a le pouvoir de rendre beau tout ce sur quoi il pose son dévolu.

Iouri Kazakov a le goût de nous dresser des portraits sublimes et sensitifs de gens qui ont tous, plus ou moins, pour dénominateur commun un réel attachement pour la nature bien plus que pour la foule ; cette nature vierge, sauvage, inviolée ou presque par les cicatrices de l’action humaine. Ce pour quoi il faut souvent aller loin, loin dans le grand nord ou vers l'inaccessible Sibérie, loin de la ruche bourdonnante qu’est Moscou, prendre les bus ou les trains soviétiques pour jouir de quelques heures, quelques jours d’instants de grâce…

L’isolement, le calme, la communion avec la nature, des gens simples, des gestes essentiels, des sentiments bruts, de l’indicible, un voile de pudeur, une relation intime et complexe entre deux êtres, voilà ce dont l’auteur sait se faire le chantre, le peintre et le distillateur, lui qui passe ses nouvelles dans les fins tourbillons de ses alambics et dont on regarde couler goutte à goutte la quinte essence sous laquelle il n’y a plus qu’à allonger la langue et se repaître.

Une véritable cure de jouvence, un élixir, un séjour dans la nature auprès de gens qui vivent chichement mais se sentent bien. En somme, la belle vie, mais ça, ce sera encore à vous d’en décider car ceci n’est qu’un avis, un mince reflet d’une impression de lecture sur une âme manifestement prédisposée à se laisser séduire par cette écriture, autant dire, pas grand-chose.
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