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Critique de horline


1944. Certains l'appellent Oeil-Tordu, d'autres Oeil-Farouche, mais jamais par son prénom. Comme si c'était superflu dans cette région rude et inhospitalière où on est vite frappé de disgrâce ou d'infirmité. Pourtant, comme le chante Louise Attaque, si "elle est pas jolie, elle est pas moche non plus"…simplement la fille d'un communiste méprisé qui à trente-cinq ans n'a encore jamais été approchée par un homme. le poids d'un "mauvais sang" dans cette région du Petsamo au nord de la Finlande occupée par les nazis.
Mais ce qu'elle a perdu par ses origines, elle le conquiert patiemment par ses dons de guérison grâce aux plantes et son talent de sage-femme. Elle n'a peut être pas l'aura des "lottas", ces volontaires finlandaises parfois si dévouées à l'égard des officiers allemands qu'elles tombent enceintes. Mais elle s'est muée en une femme forte, indépendante, volontaire presque inébranlable jusqu'à ce qu'une rencontre improbable avec un officier SS bouleverse profondément le cours de sa vie …


Dans ce roman pétri de cruauté froide et de frénésie charnelle, Katja Kettu prend la réalité pour ce qu'elle est – effrayante. Elle plonge ses personnages – monstres et innocents à la fois – dans une avidité ignominieuse. Tout devient difficile à maîtriser, tout se mélange avec une étonnante proximité : la vie, la mort, la sexualité, le profane, le sacré avec une sensation d'ivresse primitive.
Sûrement l'effet de la guerre sur ce territoire reculé et convoité pour ses mines de fer. C'est aussi et surtout l'obsession de l'amour pour notre héroïne qui découvre le désir et la pensée de la chair au point de la détourner de Dieu. Oeil-Farouche a beau avoir trente-cinq ans, elle ne s'abandonne pas moins à ses sentiments et de grandes envolées lyriques avec la même intensité qu'une jeune fille en fleurs. On est captivé par ce personnage hors norme, totalement aveuglé par ces émotions et prêtant une dévotion quasi mystique à Johann, celle-là même qu'elle consacrait à Dieu sans cesse sur les lèvres. Malgré la douleur, les épreuves et les privations, c'est une femme qui, n'écoutant que sa voix intérieure, emprunte un chemin de vie rectiligne, avance avec force et conviction au risque de se heurter brutalement à la réalité. Terrifiante. Et notamment celle finalement qu'elle n'est pas si différente des autres femmes.


Violence des hommes, violence de la guerre, violence de l'amour… Katja Kettu emporte le lecteur dans un roman vertigineux. Accordant peu de place à la nuance et au mystère, l'auteur laisse palpiter sous les lignes sensualité et brutalité, elle ne craint aucun mot pour mettre en scène la bestialité et l'archaïsme de ses personnages. On retrouve cette désinhibition dans la langue, qu'elle tord dans tous les sens et détend en mêlant le langage de villageois plutôt rustres avec une prose fiévreuse et incantatoire. Elle transforme le tout en une poésie rustique remarquable.
A ce titre, je tiens à féliciter le traducteur pour le travail accompli. Bien que n'étant pas familière avec l'histoire de la Finlande et que certains termes me soient restés hermétiques, la puissance de l'écriture a suppléé un besoin immédiat de compréhension.
Roman passionnant.
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