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Critique de elea2020


Ce court roman est un OLNI (Objet Littéraire Non Identifié) : écrit comme une fable intemporelle, et pourtant doublement ancré dans l'Histoire de notre temps - celle à laquelle il emprunte cet épisode remontant au printemps 1942, plus ou moins inspiré par le personnage réel du roi du Danemark Christian X, et l'histoire de l'auteur, dissident russe, dont on se passait le livre sous le manteau, mais qui ne fut jamais publié dans son pays. La traductrice l'explique bien dans la postface.

J'ai rapidement pensé au Danemark à l'évocation de ce petit royaume inutile, figé dans le froid et dans ses traditions séculaires, qui avait gardé une position neutre à l'égard du Reich (cherchant à éviter le sort de la Pologne). L'auteur mentionne le château d'Elseneur, et chez moi, ça a fait tilt : Royaume du Danemark, Hamlet. Il y a donc bien un roi du Danemark, mort en 1947, à qui l'on prête des faits de résistance aux Nazis, notamment cette légende - dont on sait pertinemment qu'elle en fut une - du Roi se promenant avec l'étoile juive fixée à ses vêtements. Il avait également l'habitude de cette promenade à cheval à heure fixe, l'"heure du roi" dans le roman.

Dès le début du roman, nous assistons de l'extérieur, sur un ton considérablement détaché, froid, chirurgical, à l'entrée des Nazis au Danemark, et à l'instauration du régime "concentrationnaire" de surveillance généralisée et de perte des libertés ; le tout donnant lieu à d'intéressantes réflexions sur l'acceptation insensible par les citoyens de la perte totale de leurs libertés, sous couvert de ne pas trop perdre de leur confort de vie (ce qu'ils croient). On se doute que, si le roman vise le IIIe Reich et Hitler nommément, le regard du lecteur ne peut que se tourner plus à l'Est, surtout à la fin des années 70. C'est une dénonciation de TOUS les mécanismes totalitaires, mais aussi de la résignation des masses, du renoncement aux moments décisifs où l'on pourrait encore dire non, quoique l'inutilité de certaines résistances soit également posée, surtout lorsqu'elle peut engendrer des représailles brutales sur la population qui n'en peut mais. Cela revient parfois, comme dit l'auteur, à se frapper la tête contre un mur (ce qui ne fait pas tomber le mur) ; il faut dès lors peser le pour et le contre et agir selon sa responsabilité.

Ainsi, comment le roi Cédric X, âgé de 70 ans, vit-il cette invasion, et ce rôle de marionnette qui lui est laissé comme une aumône ? Comment concilie-t-il sa véritable passion, la chirurgie, et l'exercice d'un pouvoir fantôme ? Que faire, lorsque ce pouvoir délirant des Nazis, et l'auteur ne mâche pas ses mots lorsqu'il en démonte les rouages, commence à mettre en oeuvre l'extermination de l'ennemi désigné, car ennemi il faut à ce type de pouvoir (et là, on pensera à la fable d'Orwell, La Ferme des animaux) ? Il me semble que le roman prend sa pleine densité à partir de ce moment, et lorsque des cauchemars ou des péripéties presque oniriques atteignent le souverain dans sa vie quotidienne, provoquant une remise en cause du monde réel, comme des bouffées délirantes exhalées de l'antre d'un monstre.

J'ai été en tout surprise par ce texte : d'abord, pour tout dire, je m'attendais complètement à autre chose : je croyais avoir affaire à un roman sur les échecs ! Ensuite, j'ai été dérangée par le ton clinique de cette oeuvre, ainsi que par le statut indistinct de l'auteur, dont on ne sait trop s'il se pose en témoin ou mémorialiste de cette histoire ; je n'arrivais pas à déterminer s'il s'agissait d'une fable purement fictive ou de réels faits historiques. J'ai oscillé entre l'impression de me trouver face à un morceau de bravoure digne d'un génie, et une certaine déception face à des creux moins réussis - ici je pourrais citer la paraphrase ou le pastiche de la propagande nazie anti-juive. Toutefois, d'une certaine manière, le récit parvient à une épure tranchante, et atteint la qualité d'un roman de Kafka, de par l'absurdité des situations. Il apparaît évident que le fil rouge de ce roman est le personnage de Don Quichotte, maintes fois évoqué derrière la silhouette dégingandée et quelque peu ridicule de Cédric X, et sa révolte inutile contre les géants. Mais ne vaut-elle pas mieux qu'une soumission triste ?

Je note ce livre 4,5/5 pour sa portée, et pour son utilité dans les heures politiques que nous traversons, je ne ferai pas de dessin...
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