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Critique de Cigale17


« Ma mère est morte hier » nous dit Farida Khelfa dès la première phrase de ce recueil de souvenirs. Elle expliquera ensuite que cette mort a été le déclencheur de l'écriture. L'enfance qu'elle nous raconte dans Une enfance française est particulièrement douloureuse, avec deux parents déficients : le père alcoolique, fragile mentalement, violent et incestueux ; la mère en constante dépression, gavée de médicaments, aveugle voire consentante aux exactions du père et, forcément, démissionnaire. Toute la famille est plongée dans cet engrenage de violence, frères et soeurs inclus, jusqu'à cet oncle maternel qui violera Farida alors qu'elle a sept ou huit ans. Une histoire pathétique dans une HLM de Vénissieux, une banlieue lyonnaise… Les confidences s'égrènent, d'abord à mots couverts, puis plus brutalement. L'autrice nous confie les diverses violences, les coups quand le père est ivre, et c'est fréquent, mais aussi l'inceste sur plusieurs des enfants, et l'indifférence, même parfois l'hostilité de la mère. Elle raconte sans entrer dans les détails et nous livre l'horreur brute, la peur constante qui l'habite et son désir d'en finir : elle fera deux tentatives de suicide avant l'âge de 14 ans. Pour mettre fin à cet enfer, elle fugue et « monte » à Paris. Elle fréquente alors un monde interlope, entre dealers et grands noms de la mode, qu'elle rencontre essentiellement au Palace. On reconnaît au passage certaines célébrités de l'époque et d'autres en devenir : Jean-Paul Goude, Jean-Paul Gauthier, Christian Louboutin et aussi Azzedine Alaia. Elle fréquente alors des politiques et des intellectuels, dont Claude Lanzmann qu'elle qualifie d'ami indéfectible et qui a droit à toute sa reconnaissance pour lui avoir fait découvrir Franz Fanon.
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On se promène ainsi d'anecdotes douloureuses en découvertes enrichissantes. Farida entre dans un monde qui lui était jusqu'alors inconnu, consciente de ses manques, mais forte de ses expériences passées. Elle porte encore, nous dit-elle, les marques indélébiles des enfants d'immigrés, écartelés entre deux cultures, celle des parents et celle du pays d'accueil, et désespérés de n'appartenir entièrement ni à l'une ni à l'autre. J'ai lu avec intérêt le parcours étonnant de Farida Khelfa. J'ai admiré sa force de caractère, sa capacité à se sortir de l'héroïne et des autres drogues, sa faculté étonnante de rebondir après de terribles expériences, sa remarquable résilience. J'ai regretté certaines incohérences, dues probablement aux longues et fréquentes ellipses ainsi qu'à des sauts dans le passé ou l'avenir pas toujours clairs, qui m'ont laissée sur ma faim. Par exemple, comment une mannequin héroïnomane devient-elle directrice de collection, puis réalisatrice ? Une relation amoureuse avec un grand nom de la mode et un mariage avec un homme d'affaires ne suffisent pas à l'expliquer, me semble-t-il. La narratrice laisse donc de côté les étapes de sa réussite qu'elle évoque comme des évidences sans nous en dire davantage. J'ai été surprise par sa vision du monde artistique des années quatre-vingt : en bref, les yéyés votent à droite et les chanteurs à texte plus âgés, à gauche… J'avoue avoir été agacée par la quantité de lieux communs et de généralités qu'on trouve dans ces souvenirs très personnels. Un ouvrage qui vaut pour la franchise et le réalisme de tout ce qui concerne son enfance maltraitée, je crois, plus que par ce qui raconte, plus superficiellement, la vie professionnelle et l'âge adulte.

[Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices de Elle]
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