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Critique de Satyasaibaba


L'histoire de « La fiancée était à dos d'âne », dernier roman de l'écrivaine française d'origine libanaise Vénus Khoury-Ghata, s'est construite au départ de deux faits historiques tragiques qui, bien que sans rapport a priori l'un avec l'autre, ont résonné chez elle d'un écho similaire : en 1835, 8.000 juifs – hommes, femmes, enfants, vieillards – ont été massacrés au cours de la même journée à Mascara en Algérie. Dans des circonstances tout aussi tragiques, quelque 600 hommes, femmes, enfants, vieillards appartenant à la smala de l'émir Abdelkader mourront en 1847-1848 de faim, de froid et de maladie, sur la petite île Ste-Marguerite, au large de Cannes, où ils furent contraints à l'exil après la reddition de l'émir.

Vénus Khoury-Ghata a alors imaginé l'histoire de Yudah, une jeune fille juive issue d'une tribu saharienne nomade – les Qurayzas, qu'un vieux rabbin décide d'offrir en présent à l'émir Abdelkader. En échange de cette nouvelle épouse, sa communauté, obligée depuis le massacre de Mascara, de vivre et de se cacher dans le désert, pourrait peut-être bénéficier de la protection du grand homme. Seulement voilà, l'émir n'est en rien au courant de la démarche du rabbin et surtout n'est pas dans son campement : dans le contexte difficile de la conquête de l'Algérie par la France, il est en train de perdre la partie. Yudah est alors déposée au campement de l'émir et, sous le regard peu accueillant de ses quatre épouses officielles, attend celui à qui le rabbin la destine. Lorsque l'Emir capitule et est envoyé en France, le campement où Yudah vit dans l'attente est débarqué sur l'une des îles de l'archipel des Lérins qui possède un fort et un monastère. Vivant à même le sol sous des toiles de fortune, la smala ne résistera pas à l'hiver, à la pénurie de nourriture et aux épidémies. La communauté sera décimée. Les pierres noires (pour les hommes), rouges (pour les femmes), blanches (pour les enfants) vont petit à petit dessiner sur le sol un cercle morbide. Yudah, parce qu'elle semble différente sera la seule à être accueillie par les religieuses. Elles la baptiseront – elle devient Judith, voudront lui apprendre à lire et écrire, mais la trouvant finalement trop subversive la confiront au fiancé éconduit d'une des religieuses venu réclamer sa belle. Voilà la jeune Yudah/Judith à Albi dans la bastide de cet amoureux désespéré qui passe ses journées à peindre sa promise perdue et s'enfonce tout doucement dans la folie. N'ayant pas renoncé à son statut de fiancée de l'émir, Yudah va jusqu'à Pau pour l'apercevoir. En deuil de sa patrie (et d'une de ses femmes), interdit de visite, l'homme écrit, prie et vit en reclus. Yudah n'aperçoit au loin qu'une silhouette captive, inaccessible. Assurément, elle n'arrive pas au bon moment. Elle va alors faire confiance à son destin et suivre Nicolas à Paris, un saltimbanque qui voit en elle la personnification de l'Esther de Racine qu'il veut absolument monter dans un théâtre parisien. Mais à Paris, la révolte gronde contre la monarchie et les barricades se dressent…

Conteuse, Vénus Khoury-Ghata, raconte un vécu qui est en partie le sien, l'histoire de cette jeune fille ballottée par le destin, exilée (un des thèmes récurrents de l'oeuvre de l'auteure) et toujours rejetée. Soumise et naïve, elle fait confiance aux autres qui s'en servent comme d'un objet pour accomplir leur dessein, oubliant qu'ils sacrifient sans ménagement le destin de celle qui rêvait de palais, d'amour et du grand Abdelkader.

Avec la grande histoire en toile de fond, le périple de Yudah depuis les sables du Sahara jusqu'aux barricades de Paris, s'apparente à une odyssée rocambolesque à laquelle on a parfois un peu de mal à croire (surtout l'épisode parisien). C'est là la principale réserve que j'ai par rapport à ce roman. Par contre, son rythme, son côté touchant et émouvant en font une très très belle surprise. L'écriture de Vénus Khoury-Ghata est somptueuse. Ultra concise, ciselée – en quelques mots tout est dit – elle n'en est pas moins très fleurie. le recours aux métaphores vient illuminer le récit et l'irriguer pour éviter l'aridité d'un tel style. C'est un peu comme si l'Orient venait épicer de sa verve et de ses odeurs une langue moins bavarde, plus sage ; comme un cadeau de la poésie au roman…
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