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Critique de Biblioroz


Je trouve que l'image de la couverture est magnifiquement représentative du thème du livre. le barbelé représente l'homme tordu et totalitariste qui a créé un moule d'actes et de pensées autorisés et qui décide de ce qui peut être toléré ou pas, alors que l'oiseau symbolise la nature et la liberté, il peut s'envoler à sa guise au-delà des barbelés et ne connait pas de frontières.

Wonho est un jeune journaliste enthousiaste et prometteur mais qu'a-t-il pu dire ou faire contre le Parti de son pays, la Corée du Nord, pour être trimballé subitement, sans explication, à l'arrière d'une camionnette, tel un prisonnier ? Après avoir été conduits au Bowibu (service de renseignements nord-coréen), Wonho, sa mère et sa jeune épouse Su-ryeon quittent Pyongyang et tressautent des heures durant sur les mauvaises routes du pays sans connaître leur destination. Ils sont apeurés, inquiets et affamés avec pour tout repas une maigre boulette de farine de maïs qui leur a été jetée à chacun.
Vallées et montagnes se succèdent jusqu'à l'arrivée dans une vaste clairière éclairée crument par des projecteurs. Des tours de guets sortent des mitrailleuses, des barbelés hérissent la surface du sol. Les sanglots de sa femme et de sa mère. le regard de Wonho se pose sur les alentours, perçoit le scintillement des feuilles et le bruissement des bois si touffus, le gazouillement des oiseaux mêlés aux clapotis du cours d'eau en contrebas. « Se trouvent-ils seulement au fin fond des montagnes loin de la ville et non dans l'horrible enfer qu'il a imaginé ? » L'espoir se fraye un passage… Vite démenti par le ton cinglant des bowiwon, leurs regards haineux vis-à-vis de ces nouveaux prisonniers politiques, ces immondes réactionnaires. La zone de rééducation révolutionnaire va les engloutir.

Min-kyu, responsable du groupe numéro 1, consulte le dossier des ces arrivants. Cette photo, ce visage. Il reconnait en Su-ryeon la musicienne pour qui il nourrissait une passion restée dans l'ombre quatre années en arrière. La fiche indique « punition collective », son beau-père étant accusé de s'être converti au capitalisme et ayant fui en Corée du Sud. L'épouse, le fils et sa jeune femme sont donc complètement innocents et ignorants des raisons de leur arrestation.
Comment ne pas se soucier de la musicienne tant aimée, faire taire son coeur et sa pitié ? Toute compassion envers les détenus, ces ennemis considérés pire que des bêtes, est interdite. Des vies minables qui ne valent rien, Su-ryeon ne doit pas être traitée en tant qu'être humain mais Min-kyu s'en sent incapable.
Pour nourrir les siens, la jeune coréenne entièrement dévouée à sa famille, acceptera l'aide du responsable malgré les contreparties exigées.
Après la torture des privations, les douloureuses réprimandes humiliantes, la cabane se remplira de haine conjugale.
Cette cabane est un taudis aux planches pourries pleines de moisissures. Une cloche agressive perçant les tympans rythme les journées de labeur ; de la main d'oeuvre facile pour participer à l'effort révolutionnaire. Les chefs d'équipes, pourtant eux-mêmes prisonniers, redoublent de cruauté afin de conserver leur place et quelques avantages, ils font férocement valoir leur autorité à coups de fouet.
Les ordres menaçants, les saluts respectueux à prodiguer aux gardiens, les infamies, les situations avilissantes contrastent sur ce magnifique paysage boisé.

On attend des détenus une totale soumission car l'ombre de l'envoi dans la vallée des spectres s'étend sur eux au moindre faux pas.
Dans ce camp errent des visages émaciés, des silhouettes squelettiques portant des haillons rapiécés de partout, des regards chargés d'angoisse. Des épis de maïs à piler pour toute nourriture, la faim constante les pousse à accepter tout avilissement, la raison fuyant devant la moindre bouchée de nourriture.
L'hiver, gravir la montagne dans la neige et sous le vent cinglant, l'envie d'en finir en se blottissant dans la poudre blanche et pourtant, survivre malgré tout et se soumettre à l'instant présent. Chez eux, le passé s'efface et l'avenir a disparu, seul l'instinct animal les fait tenir. La notion d'individu est avalée par les privations et les cruautés subies. Ne leur reste que le pouvoir d'adaptation et le désir de ne pas renoncer à cette survie comme unique signe de résistance face à l'abject. Ne pas s'avouer vaincu.

Même entre les dirigeants du camp, la méfiance des uns, la fausseté des autres gomment toute confiance et ne laissent planer qu'une indispensable prudence. On sent la chape de plomb imposée par la dictature à tous ses sujets, sans exception.
Les brimades, les tortures morales, le lavage de cerveau, la famine, réussissent à ôter l'orgueil et l'estime de soi.
Le mépris pour lui-même envahit Wonho. Cependant, à aucun moment il ne remet en question le modèle Nord-Coréen. Lui et sa famille ont juste eu la malchance de connaître de trop près l'un des camps de redressement. C'est stupéfiant, affolant, de découvrir le niveau d'endoctrinement atteint par ce genre de régime.
Avec Wonho, Kim Yu-kyeong, ayant elle-même fui son pays, nous éclaire péniblement sur cette inconditionnelle obéissance des Nord-Coréens, leur habitude du contrôle communiste, leur totale ignorance des droits de l'homme.

Dans ce roman bouleversant, instructif et douloureux, le calvaire de l'oppression politique se double d'un enfer familial. La nature humaine se dévoile face à la survie mais aussi face à la trahison amoureuse.
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