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Critique de Pois0n


Avant toute chose, un grand merci à Babelio ainsi qu'aux éditions Matin Calme pour m'avoir fait découvrir ce livre. ♥

Avec son titre et son résumé, « L'île des chamanes » promettait une histoire ancrée dans le folklore... sauf que non. Si l'une des victimes (et pas celle sur laquelle l'enquête se focalise le plus) était chamane, cet aspect n'est qu'à peine évoqué. Oubliez d'emblée vos envies d'ésotérisme, ici, c'est la bonne vieille psychologie rationnelle qui prime. Quant aux traditions, la plus présente, c'est celle de la culture du poireau. Bienvenue dans la cambrousse !

Pendant une majeure partie du livre, je me suis demandé pourquoi il était écrit « thriller » sur la couverture, tant tout là-dedans avait des airs de polar classique. Un flic gentiment limogé au fin-fond du trou du cul du monde suite à une enquête qui dérape, des gens de la campagne tantôt méfiants tantôt admiratifs, des collègues locaux totalement dépassés par une affaire plus grosse qu'eux... contrairement à Seong-ho, le personnage principal, on est en terrain connu.
On se demande aussi pourquoi tout est si long à démarrer, la fameuse enquête sur les disparues de Sambo ne débutant qu'à la page 70... soit presque au quart du livre ! Ne pouvait-on pas commencer l'histoire là, en expliquant brièvement pourquoi notre homme se retrouve à cet endroit ? Patience, patience... Faites confiance à l'autrice, aux éditeurs et au résumé : on ne vous a pas menti sur la marchandise, mais tout l'intérêt de la chose est que vous le découvriez au moment voulu. D'ici là, laissez-vous balader d'un bout à l'autre de cette île désolée, dédaignée par les touristes en ce froid mois de Janvier.

En revanche, pour ce qui est du côté haletant promis sur la couverture, je dois avouer, je cherche encore. le rythme de l'histoire est en effet particulièrement lent : bien que celle-ci se déroule sur à peine une semaine, tout se décante avec une torpeur digne d'un paresseux sous Prozac. Quant aux rebondissements annoncés, là encore, que pouic : l'enquête s'avère très calme et nos policiers pataugent totalement dans la semoule, parcourant l'île en long, en large et en travers pour interroger des témoins, mais c'est tout.
Là, vous allez me dire : « mais on se fait grave chier, alors ? ». Non, parce que l'autrice connaît son métier. D'une part, car l'on continue de suivre par petites touches l'enquête de Yi Ju-yeong, jeune policière assignée à la surveillance du cyberespace et infiniment plus sympathique que son collègue profiler, bien déterminée à découvrir le fin mot de l'histoire laissée en plan maintenant que Seong-ho est occupé ailleurs. Il est d'ailleurs rigolo de voir qu'en dépit de l'âge relativement récent du livre (l'histoire se passe début 2013), certains éléments sont déjà dépassés : à l'heure où je tape ces lignes, les moins de vingt ans ont largement déserté facebook, réseau vieillissant. D'autre part, parce que grâce à de courts passages du côté obscur de la force, on en sait plus que les enquêteurs, en particulier grâce aux indices gros comme des maisons mentionnés dans les dialogues : le cliché du méchant qui papote trop, mais utilisé à bon escient, pour relancer l'intérêt du lecteur au moment opportun. Enfin, il y a Seong-ho lui-même, qui se triture les méninges au sujet de son amnésie. Là encore, les indices sont tellement gros, dès le départ, soulignés par les autres personnages (des fois qu'on aurait pas compris), sans oublier son comportement qui, à l'occasion, en révèle bien plus que tout le sous-texte du monde. le coup classique du policier torturé, quoi. On a l'habitude.

Et en dépit de tout ça, de cet aspect prévisible qui nous fait dire « ha, ça, j'en étais sûr depuis le début », le point fort du livre, c'est qu'on ne devine... pas tout. Comme un os à ronger pour détourner l'attention, nous faire oublier les vraies questions et regarder ailleurs le temps que l'autrice frappe un grand coup. Une chose est sûre : c'est réussi.

Mais alors pourquoi n'ai-je pas accroché plus que ça ? La première raison est directement liée à ce choix narratif. Un peu comme dans « Jonathan Strange & Mr Norrell » où tu te demandes pendant 95% du truc où l'autrice veut en venir avant le fameux moment où tout prend sens, et où seul l'univers original, ultra-développé, porte le récit à bout de bras jusque-là. Sauf que l'île de Sambo et les policiers locaux, eux, restent nébuleux d'un bout à l'autre. Comme Oh Yeong-shik, collègue qui accompagne Seong-ho à peu près partout, mais dont on ne sait pour ainsi dire rien, tel une figure de papier posée là, un nom jeté presque au hasard mais sans vraie consistance. Pareil pour les décors, qu'il s'agisse de l'île ou de Séoul : le manque de descriptions n'aide pas à s'immerger aux côtés des personnages. Peut-être que vous, ça ne vous gênera pas, qui sait... tout dépend de la façon dont vous aimez vos romans noirs.
Le seconde raison vient directement du style narratif, de la « plume » (ou de la traduction, ou un peu des deux...). Narration au présent parsemée de nombreux flash-backs pas toujours bien insérés dedans et nombreuses tournures de phrases bizarres manquant de naturel, rien de tel pour sortir du récit. Alors certes, ce qui compte, c'est le fond, mais la forme a tout de même de l'importance et ici, on a l'impression d'avoir affaire à quelque chose d'encore un peu brut, dépoli, pas non plus un premier jet hein, mais plutôt un entre-deux.
La troisième raison est liée elle au contenu, à la « morale » de l'histoire, si je puis dire. () Au moins le truc a-t-il le mérite de montrer les conséquences et l'impact réel que peut avoir à vie le harcèlement scolaire, mais c'est clairement le genre de bouquin où la présence de trigger warning en début d'ouvrage ne serait pas un luxe. En parlant de TW, n'oublions pas la maltraitance animale, assez présente et clairement plus dure à encaisser que tout le reste.

En bref, si par certains côtés le roman est une franche réussite, sur d'autres, il a de quoi laisser plus dubitatif, laissant un sentiment partagé. Un thriller déguisé en polar atypique, dérangeant à souhait ; une histoire maîtrisée dans le fond mais parfois maladroite sur la forme ; une ambiance sombre tempérée par le rythme lent... Tout dépend de ce que vous venez y chercher. Pour ma part, j'ai préféré « Carnets d'enquête d'un beau gosse nécromant » chez le même éditeur ^^
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