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Critique de Presence


Ce tome regroupe les 16 épisodes de la série originale, parus d'août 1972 à janvier 1974, écrits et dessinés par Jack Kirby, encrés par Mike Royer.

La légendaire cité de Camelot est assaillie et la tour de Merlin est la proie des flammes. Margane le Fey tient sa revanche. Merlin accomplit un dernier acte avant de disparaître : associer Etrigan le démon à Jason Blood un être humain. de nos jours (enfin plus dans les années 1970 au vu des coiffures et des vêtements), Jason Blood est un démonologiste reconnu qui a pignon sur rue et qui est installé à Gotham. Dans le premier épisode, il reçoit la visite de Warly (l'aide de Morgane) dans son appartement. Après une confrontation physique, il reçoit l'aide d'un être de pierre muet. Ensemble ils se rendent dans un endroit qui évoque un village fermier dans une Europe de l'Est de pacotille.

Au cours de ces 16 épisodes, le lecteur fait connaissance avec les rares amis de Jason Blood : Harry Matthews, Randu Singh et Glenda Mark. le Demon se bat contre Morgane le Fey (épisodes 1 & 2), contre une secte capable de transformer les homos sapiens en hommes de Neandertal (épisode 3), contre une sorte de sorcière vaudou capable de faire surgir des monstres (épisode 4 & 5, avec l'aide de Merlin), contre un homme-bête victime d'une malédiction (épisode 6), contre Klarion un enfant sorcier pas commode (épisodes 7, 14 et 15), contre une variation du le fantôme de l'opéra (épisodes 8 à 10), contre un dérivé du docteur Frankenstein (épisode 11 à 13) et une dernière fois contre Morgane le Fey (épisode 16).

Dans la production de Jack Kirby, cette série présente plusieurs particularités. Tout d'abord elle est entièrement indépendante ; elle ne fait intervenir aucun autre personnage de l'univers partagé DC. Ensuite, Kirby a choisi un personnage principal issu des enfers : le démon Etrigan.

Les éditeurs de DC ayant décidé de mettre un terme aux séries regroupées sous le nom de Quatrième Monde, ils demandèrent à Kirby de proposer de nouvelles idées. Pour ce titre, Kirby bénéficie de toute la latitude qu'il souhaite : il est même responsable éditorial de sa propre série.

En termes de narration, Jack Kirby réduit ses personnages à leur plus simple expression. Harry Matthews est un monsieur peu cultivé qui ne comprend pas les termes compliqués et qui fume des cigares (vous n'en apprendrez pas plus sur lui au long des 16 épisodes). Glenda Mark est une jolie jeune femme aux nerfs solides, qui ne semble pas travailler et qui en pince pour Jason Blood de manière plus amicale qu'amoureuse. Randu Singh apporte une touche d'exotisme du fait de son origine indienne, et de mystère du fait de ses vagues pouvoirs extra-sensoriels. Même Jason Blood n'affiche pas une personnalité très affirmée. Etrigan provient des enfers, mais il a un sens moral irréprochable et c'est un pourfendeur de monstres en tous genres. La logique des récits est parfois incroyablement gauche, avec Jason Blood qui se transforme en Etrigan juste à 5 pages de la fin pour le combat décisif. le deus ex machina de la pierre philosophale prête également à sourire.

Donc l'intérêt de ces histoires se trouve ailleurs : les monstres improbables et incroyables qu'affronte Etrigan et le parfum de légende qui se dégage de chacune des histoires. Kirby a été piocher dans sa carrière de créateur de monstres en pagaille pour engendrer une horreur après l'autre, avec certaines vraiment magnifiques. J'ai beaucoup apprécié le monstre qui donne son pouvoir à la sorcière vaudou, Klarion et son air gothique, la majesté du fantôme des égouts, l'idole antique de la secte, etc.

Et ces monstres ne se résument pas à un concept simple, ils disposent chacun de graphismes incroyables. En fait j'ai voulu découvrir ces épisodes pour me replonger dans les graphismes sans concession de Kirby. Si vous voulez découvrir en quoi Jack Kirby était un illustrateur sans égal qui a imprimé une marque indélébile sur l'imagerie des comics, ce tome est fait pour vous. Il est visible qu'il a consacré beaucoup de temps à peaufiner ces histoires, en particulier les deux premiers tiers de la série. À elle seule, la couverture donne une idée de l'incroyable énergie contenue dans chaque dessin. Bien sûr il est facile de trouver ridicule les expressions exagérées des personnages, les émotions exacerbées et les postures théâtrales. Mais dès la première page, la force et la puissance de conviction s'empare du lecteur.

Dès la première page (une pleine page), les célèbres points d'énergie (Kirby crackles) encadrent Merlin à sa fenêtre. Incroyable ! le lecteur distingue la chaleur des flammes, leur nature surnaturelle du fait de leur forme et de leur énergie, la solidité des pierres de la façade, ainsi que les décorations qui constituent autant de charmes magiques de protection. Les pages 2 & 3 ne forment qu'une seule illustration (double page) barbare, brutale et magique : une troupe de guerriers en armure donne l'assaut aux remparts, le feu ravage la citadelle, les armures sont toutes différentes, une boule de feu traverse le ciel, l'un des guerriers porte un casque qui évoque un modèle utilisé par les footballeurs américains. C'est ahurissant tout ce qu'il a réussi à mettre dans cette page. Morgane le Fey est impériale, étrangère et barbare, fantastique. La première apparition de Warly en vieillard irascible dont le visage est parcheminé convainc le lecteur de sa laideur intérieure et de sa dangerosité. Chaque monstre est magnifique : l'interprétation démesurée du monstre de Frankenstein est convaincante, Klarion redéfinit à lui seul el terme gothique grâce à a tenue de puritain, la petite créature toute blanche et pelucheuse est aussi mignonne que dégénérée. Jack Kirby s'est surpassé pour la double page de l'épisode 12 où Etrigan découvre toutes les créatures composées dans un laboratoire de sorcellerie. L'encrage du Mike Royer est épais comme il faut, formidable. Cette édition comprend quelques pages crayonnées qui permettent de comprendre le travail de l'encreur et le respect avec lequel il a transcrit les crayonnés.

Et les textures ! Quand Kirby représente une construction en pierre, c'est de la pierre de taille massive. Quand il décrit une vue aérienne de Gotham, il arrange les ombres des immeubles pour que cet arrière plan devienne une composition abstraite recelant une intention mystérieuse à la lisière de la compréhension. Les coulisses du théâtre avec leurs panneaux en bois évoquent l'ancienneté des lieux, l'amour du travail manuel des artisans qui ont fabriqué les décors, etc. Non, je ne suis pas en plein délire, je me régale de cette vision d'artiste du monde qui nous entoure. Kirby porte un regard personnel sur la réalité, dont ses illustrations portent la marque.

Si vous ne connaissez pas Jack Kirby et vous vous demandez pourquoi les anciens le vénèrent, ce tome recèle des trésors graphiques inouïs. Si vous connaissez déjà le style de Jack Kirby, il apparaît ici dans sa forme la plus mature et la plus pure.
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