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Critique de Arthemyce


Avec la démocratisation de la question climatique ces dernières années – ce qui est une très bonne chose – les étagères des libraires ont fleuri de divers opus traitant de la thématique, notamment en BD. Parmi d'autres, celle dont je vais parler n'est plus toute jeune : elle date de 2014. Toutefois, sur le plan des sciences du climat, malgré des progrès certains dans les projections et leurs incertitudes, le consensus n'a pas changé, au contraire il s'est affirmé plus encore : l'ancienneté de l'ouvrage n'est donc pas le problème.

Non. Un des problèmes de cette BD, le principal, est le dogmatisme religieux et le prosélytisme dont elle fait preuve envers le Capitalisme, et ce dès la seconde case : « le Capitalisme et l'Économie de Marché vont créer de nouvelles richesses… » et « nous propose[nt] une perspective qui n'est rien moins que miraculeuse ». Sitôt cette « Histoire 1 » professée – avec au passage un peu de publicité pour leurs deux précédents ouvrages traitant d'Économie (et aussi pour la « Main Invisible » d'Adam SMITH) – les auteurs annoncent tout de même qu'elle pourrait subir l'influence d'une « Histoire 2 », celle des impacts environnementaux issus de la Croissance. Comme l'indique le titre de l'opus et le confirment Bauman & Klein, seul sera traité ici le changement climatique parmi d'autres effets néfastes comme « la surpêche, la pollution, les espèces menacées, la destruction d'habitats ». Miraculeux le Capitalisme, n'est-il pas ?

Mauvais départ, en ce qui me concerne. Néanmoins, par la suite, la problématique du changement climatique est bien présentée. D'abord, la distinction entre « le temps » qu'il fait et le climat est astucieusement imagée : « le climat est comme votre personnalité … le temps comme votre humeur », il s'agit en effet d'une question d'échelle temporelle qui peut s'appréhender comme une moyenne de variables caractéristiques – qui évolue.
Une petite « Histoire de la Terre » développe ensuite succinctement cette évolution, celle de l'atmosphère, de la température moyenne, ainsi que de l'aspect de notre planète : il a existé des phases où la Terre était entièrement couverte de glace, par exemple. Durant ce chapitre, on croise les petits organismes ayant synthétisé le dioxygène que nous respirons, les cycles de Milankovitch ainsi que les différentes ères glaciaires et encore quelques autres évènements importants comme les extinctions de masses – donnant par là même un aperçu des échelles de temps longues auxquelles évoluent « naturellement » le climat. Les boucles de rétroactions, mécanismes inhérents à la dynamique du climat, sont également traitées avec attention et pédagogie.
Le CO2, ainsi que quelques autres gaz à effet de serre (GES), font ensuite leur entrée. le cycle du carbone est bien exposé tandis qu'on aborde les travaux de Keeling (mesure de la concentration moyenne de CO2 dans l'atmosphère) ce qui permet de présenter la variation saisonnière : comme si la Terre respirait en été et expirait en hiver (pour l'hémisphère nord). Une fois le lien établi entre concentration de CO2 et température moyenne de la Terre sur le temps long, il est temps d'aborder l'Énergie : aussi bien sous la forme de celle qui alimente notre réservoir de chaleur terrestre, nous provenant des rayons du Soleil ; que les combustibles fossiles que nous brûlons pour faire avancer nos véhicules ou lire des trucs sur internet (comme en ce moment), participant à l'effet de serre.
On enchaine sur la « Science du climat », qui traite de la méthode scientifique et expose l'industrie du doute qui s'est rapidement mise en place pour endiguer la démocratisation des connaissances sur le lien entre énergies fossiles et réchauffement climatique, comme cela avait déjà été le cas (d'école) pour le lien entre tabac et cancer du poumon durant des années auparavant, ralentissant de fait toute amélioration dans le domaine concerné. Il semble d'ailleurs pertinent de noter ici que les auteurs ne mentionnent aucunement les défaillances du « Marché » dans ces phénomènes… Mais passons. le chapitre suivant, sur « Les prévisions », aborde les impacts possibles du changement climatique, qui « selon la trajectoire actuelle » devrait nous mener à + 4°C en 2100 (ce qui est effectivement une estimation convenable compte tenu des incertitudes et pour la date de publication). « L'eau » et « La vie sur Terre » ont leur propre chapitre détaillé via cette approche portée sur les conséquences. Si l'impact sur « les pauvres » est légitimement mentionné comme « injuste » car plus difficile que pour « les riches » alors que ces derniers polluent le plus, le constat est effectué avec une froideur polaire et se conclu par un voeux-pieux suintant la béatitude : « Heureusement, la croissance économique permettra sans doute une augmentation du nombre de riches et une baisse du nombres de pauvres dans les années à venir » ; ce qui semble néanmoins peu probable à en juger par les nombreux travaux sur les inégalités réalisées à partir de séries longues ; un détail, sans doute !
La partie suivante traitant des incertitudes est menée de manière ambigüe : si leurs causes sont bien expliquées (la complexité du système climatique notamment) et que les auteurs mettent en avant les nombreux succès prédictifs des diverses modélisations, ces derniers mettent aussi en exergue la réalité de prévision erronées (ce fut le cas, à priori, de la concentration du méthane) laissant l'impression que – peut-être – nous pourrions avoir d'agréables surprises des suites d'éventuelles bévues. En mettant ainsi sur un même pied d'égalité un scénario dans lequel le réchauffement climatique ne serait potentiellement « pas si mauvais que ça » (« grâce à une croissance économique rapide » évidemment…) et un autre scénario qui, lui, serait « catastrophique » – dépendamment de si « nous » nous trompons respectivement à la hause ou à la baisse dans nos prévisions – les auteurs instillent malgré eux un doute optimiste quant aux risques encourus. Finalement, un laïus un peu étrange vient faire le parallèle entre une assurance et les « Actions » pour le climat, permettant de lancer cette dernière grande thématique (dans la mesure où agir pour limiter le réchauffement climatique, c'est aussi limiter ses impacts pour peu que les actions soient réellement positives).
Toute cette dernière partie de l'ouvrage est découpée entre « La Tragédie des communs » – un concept controversé et démenti empiriquement –, les « Solutions Techniques », la « Taxe Carbone » et « Dans l'ombre des énergies fossiles » avant de conclure sur « le défi ». Ici encore, le parti-pris utilitariste imprègne chaque page. Ainsi on nous scande que « l'intérêt individuel n'est pas toujours mauvais » (pour la société s'entend) car il est possible d'adapter les comportement par l'incitation, thèse appuyée par une célèbre formule d'Adam SMITH à base de « Ce n'est pas de la bienveillance du boucher […] ». Les auteurs évoquent les résultats positifs du Protocole de Montréal sur la concentration en CFC et la réduction subséquente du trou de la couche d'ozone ; néanmoins, aucun recul critique n'aborde les contraintes très différentes qui s'appliquent aux énergies fossiles et qui n'ont rien à voir dans leur domaines et volumes d'utilisation, immensément plus vastes. Dans le chapitre suivant sur les solutions techniques sont abordées : la géo-ingénierie, l'efficacité énergétique, les énergies renouvelables – à tort qualifiées de « propres » (aucune énergie n'est « propre » dans l'absolu !) – et bien sûr, le besoin d'argent… On enchaine logiquement sur la « Taxe carbone », dont le mécanisme est décortiquée selon les vues réductrices de l'Économie mainstream – sans bien sûr tenir compte de leurs nombreuses divergences avec le monde réel. On peut même lire, en guise d'ouverture au chapitre, le mantra selon lequel « Nous pouvons utiliser la puissance du Capitalisme et les outils de l'Économie pour protéger l'Environnement ». Enfin, l'avant dernier chapitre traite des autres sources d'émissions de GES, notamment la déforestation, ce qui permet aux auteurs de vanter les mérites de la « compensation » ou, dit autrement : le droit à polluer des « riches ».
En conclusion, Bauman et son dessinateur proposent d'aborder « le défi » du changement climatique avec une bonne dose de pensée positive mâtinée de techno-solutionisme (ce n'est pas un compliment !). Les actions sont principalement envisagées à échelles individuelles, même si les institutions démocratiques sont furtivement évoquées – fort naïvement d'ailleurs. Pas l'ombre d'une remise en cause du modèle capitaliste de la société occidentale (et pire encore, de sa variante américaine), ou de l'extractivisme imposé par la sacro-sainte Croissance, ou des oligopoles économiques et de leur mécanismes intrinsèques de concentration de richesses … Sans surprise, mais décevant tout de même.

À « nous », donc, d' « écrire le prochain chapitre », comme nous y enjoignent les auteurs, en prenant les choses en main ; car visiblement la Main Invisible d'Adam SMITH ne suffit pas.

Vous l'aurez compris : ce n'est pas un livre que je recommanderai. Je suis d'ailleurs bien content de l'avoir trouvé d'occasion, son prix d'origine ne me convenant pas du tout, eu égard au traitement particulièrement orienté de la thématique et de l'omniprésence d'un prosélytisme religieux envers le Capitalisme. Si sur le plan scientifique concernant le climat je n'ai rien à redire, sur le reste – soient l'aspect politico-économique et les questions d'adaptation et d'atténuation – ce livre n'est clairement pas à la hauteur pour proposer des outils de lecture et de réflexion pertinents pour l'avenir.
En dépit des nombreux constats effectués par les auteurs sur les causes du réchauffement climatique et de ses potentielles conséquences ; malgré le soin apporté à vulgariser les différents phénomènes physiques en jeu ; et même si le rôle de l'Économie et de sa Croissance dans l'émission de CO2 (et d'autres pollutions) est constaté et illustré noir sur blanc … C'est comme si les auteurs s'étaient arrêtés au premier bar du commerce sur le chemin de leur réflexion, incapables de dépasser leur foi dans le Capitalisme et la Croissance pour déceler et admettre l'intrication inaltérable entre Économie et Énergie, donc CO2. Paradoxalement, même si la BD défend la méthode scientifique, elle traite de l'Économie, de la Politique et de la Technologie avec une légèreté méthodologique éminemment contestable, sans jamais s'appuyer sur des éléments empiriques consensuels ou théoriques robustes : on est systématiquement dans l'incantation. A ce bilan peu reluisant s'ajoute l'absence totale de source, ne permettant pas de vérifier ou d'approfondir le propos.
J'aurai aimé dire qu'au moins les traits et les couleurs m'ont plu : mais la BD (de près de 200 pages) est en noir et blanc ; et je ne suis vraiment pas fan du style de Grady KLEIN au dessin – une affaire de goût.

Très dispensable, dans le sens où il existe bien mieux sur les étagères – et plus récent de surcroît.
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