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Critique de Pecosa


L'agent Spaik, du Bureau Central Fédéral, apprend par ses contacts qu'il est lâché par son service et qu'un tueur, chargé de l'éliminer, est en route pour Libidissi. Il ignore les raisons de sa disgrâce. Est-ce par ce qu'il est trop âgé ou parce qu'il passe tout son temps dans le hammam de Freddy en compagnie de jeunes boys?
Le lecteur s'aperçoit très rapidement que ce qui s'apparente à un roman d'espionnage classique ne ressemble en fait à aucun autre roman, et l'étiquette Folio Policier a de quoi le déconcerter. Dès le premier chapitre, Georg Klein inscrit le récit dans un lieu fictif dénué de repères temporels ou culturels. Les ingrédients traditionnels du roman d'espionnage sont bien présents, la traque d'un agent infiltré par un tueur dont il ignore l'identité, la présence de nombreuses agences de renseignement dans la ville, l'espion en proie au doute marqué physiquement et moralement par un mode de vie aliénant, la paranoïa ambiante, mais voilà, Libidissi (Tbilissi? le Caire?) n'existe pas. Nous sommes plongés dans un Orient de cauchemar, à une époque indéterminée, dont les femmes sont quasiment absentes. Les moyens de communication alloués aux espions sont délirants (présentateur vedette du German Fun qui touche sa braguette en guise de message secret, disquettes fondantes...) et la langue locale, le Piddi Piddi, qualifiée de "bouillie" ne distingue ni singulier ni pluriel. Avec ce roman choral, où le "Moi=Spaik" de la proie alterne avec le "nous" bicéphale du tueur, Georg Klein attire le lecteur dans un labyrinthe sans qu'il sache avec certitude ce qu'il en est de l'intrigue ou des protagonistes. Inutile donc de chercher des références explicites à l'année, à l'espace et aux faits, il ne nous reste plus qu'à être tour à tour gibier et chasseur dans l'étrange et oppressante Libidissi.
Le personnage principal du roman est finalement cette ville aux origines millénaires, avec ses ruelles tortueuses, ses maisons d'argile bleue, et ses édifices à étages qui comptent parmi les plus anciens du monde. Son ghetto de la Grande Prophétie, dit le Goto, a même été classé au patrimoine mondial de l'humanité. Elle est une Babel aux multiples langues indigènes dont les populations minoritaires, celles des égichéens et des cyrénéens. connaissent de temps en temps massacres et pogroms. La ville tentaculaire écrasée par la chaleur, enveloppée dans un nuage de pollution, ne peut se défaire de la menace des adorateurs du Grand Gahis, qui multiplient les attentats et les campagnes de purification. Quant au docteur Zinally, fervent adepte de la pureté de la race et du troisième chant du Gahis, "Le bêlement du bélier", qui entend constituer une doctrine raciale rigoureuse, il traque les symptômes de la maladie de Mau. le virus semble frapper essentiellement les étrangers que l'on accuse pourtant d'être les vecteurs du mal. A Libidissi mieux vaut ne pas être un touriste ni appartenir à une minorité. Quand l'intrigue, ancrée dans une réalité imaginaire proche de la science-fiction, agite ça et là des éléments de notre histoire européenne, c'est pour nous perdre davantage. Cette oeuvre atypique, qui fait souvent songer au Brazil de Terry Gilliam en jouant sur l'ambiguïté, l'ironie, l'humour noir, est probablement celle qui m'aura le plus déroutée depuis Requins d'eau douce de Seinfest (sans doute aussi parce que je ne connais pas du tout la littérature germanophone). Une curiosité élue Révélation de l'année en Allemagne en 1998.
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