Partout où quelque chose ne va pas, quelque chose est trop gros.
Seuls les petits États peuvent être unis au sein d'organismes plus grands mais sains. Seuls les petits États peuvent être fédérés. Dès qu'un grand État prend part à une union fédérale, cette fédération ne dure pas. À un moment donné, elle finit par devenir un État centralisé qui œuvre dans l'intérêt de son membre le plus grand, ou se fragmente en petites composantes une fois que la raison immédiate qui a présidé à sa création, comme la peur d'un ennemi commun par exemple, a disparu.
On dit, toutefois, que la vie moderne a au moins appris à tout le monde à lire et à écrire. C'est un fait indéniable. Mais on semble avoir oublié d'augmenter le niveau culturel moyen. De sorte que la personne lettrée d'aujourd'hui ne comprend rien toute seule, a besoin que tout soit prémâché et réduit à l'état de bande-dessinées. Le Manifeste Communiste de Marx, un essai brillant qui pouvait être compris il y a cent ans par les ouvriers du monde entier, à qui il était destiné, est devenu hors d'atteinte de l'étudiant d'université moyen issu de notre système d'éducation de masse du vingtième siècle. Son « lettrisme » tant vanté semble ne lui servir à rien d'autre qu'à répondre par « oui » ou par « non » à des questions bien posées à choix multiples, et à remplir des formulaires qui lui octroieront une pension pour sénilité intellectuelle à partir de l'âge de vingt ans jusqu'à sa mort.
Notre intelligence semble être devenue collectivisée en parallèle de la nécessaire collectivisation des États massifs modernes, et s'être abandonnée au bon soin du gouvernement qui prend en charge nos vies et les organise à un degré toujours plus grand. C'est peut-être douloureux, mais la société de masse ne nous laisse aucun autre choix. La loi de la vie en masse est l'organisation ; en d'autres termes le militarisme, le socialisme, le communisme — au choix.
Cette condition a produit par nécessité un changement fondamental de ce qu'est le citoyen dans une société de masse. Se trouvant perpétuellement au milieu de foules gigantesques, il n'est que naturel qu'il se mette à voir de la grandeur dans ce qui apparaît à l'habitant d'un petit État comme un cauchemar. Il devient obsédé par les questions de masse. Il se prend à aimer les nombres et crie de joie à chaque fois qu'un nouveau million est additionné au chiffre de la population.
Il n'y a pas de détresse sur terre qui puisse être soulagée sauf à petite échelle. Dans l'immense, tout s'effondre, même le bien car, comme il apparaîtra avec de plus en plus d'évidence, le seul et unique problème du monde n'est pas le mal mais la taille excessive