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Critique de Bartzella


C'est le pouls de l'Ukraine que l'on sent battre, d'une actualité criante, alarmante… « Les abeilles grises » est comme une claque qui nous réveille !

Zone grise, prise entre deux feux…
Zone encore épargnée – en tous cas en grande partie – pour l'instant, du moins…

Le Donbass. Fin de l'hiver. Deux hommes sont les seuls du village Mala Starogradivka à être restés chez eux, sur environ quatre-vingt-cinq maisons. Seulement une rue les sépare. L'un habite la rue Lénine, tandis que l'autre vit sur Chevtchenko. Depuis l'enfance, ils ne s'entendent point. Pourtant, la guerre, ces trois dernières années, les a peu à peu réunis dans leur solitude; ils avancent à tâtons, prudemment, maladroitement, parfois…Toujours est-il qu'ils cherchent la compagnie l'un de l'autre.

Sergueïtch et Pachka sont comme un vieux couple, ils se chamaillent tout le temps mais au fond, que seraient-ils et que feraient-ils l'un sans l'autre ? Malgré leurs différends, ils s'apprécient bien quand même…Après tout, ne vivent-ils pas les mêmes tourments ?

Prendre soin l'un de l'autre au-delà de leurs conflits, n'est-ce pas quelque chose de magnifique ? La guerre déchire, beaucoup trop. Mais – seul baume dans toute cette horreur – étonnamment, elle rapproche, également.

« Il le regardait et songeait que s'ils n'étaient pas restés les deux seuls habitants du village, jamais il ne lui aurait adressé de nouveau la parole. Ils auraient vécu ainsi parallèlement, chacun dans sa rue et chacun sa vie. Et jamais jusqu'à leur mort ils n'auraient eu d'autre conversation. S'il n'y avait eu la guerre. »

Lorsque Sergueï aperçoit un corps tombé au combat gisant en plein champs et en parle à Pachka, celui-ci répond que c'est probablement « l'un des leurs ». Mais « l'un des leurs » de qui, qu'est-ce que ça change, de toute façon ? Un homme mort n'est-il pas censé être placé sous terre, comme tout le monde, peu importe dans quel camp il est ? Il faudrait bien faire quelque chose pour ce soldat...

La première moitié est plutôt calme. Enfin, tranquille, oui et non. Tranquille car rien ne se passe vraiment, les journées sont longues, on peut entendre jusqu'au tic-tac du réveil de Sergueïtch. Les journées sont bien rodées : chauffer le poêle au charbon, faire bouillir de l'eau pour le thé, cuisiner des vermicelles, prendre un petit verre de ratafia au miel ou de vodka de temps à autre, rendre visite au seul autre être humain à la ronde, aller prendre l'air au bout du potager et regarder les environs, jeter un oeil aux ruches, parfois se rendre à pied jusqu'au village voisin (quand même pas à la porte d'à côté) pour échanger un peu de denrées contre un litre de miel frais, allumer les cierges pour s'éclairer, réfléchir, dormir, rêver…

Mais la menace plane toujours car qui sait si un obus perdu ne pourrait pas leur tomber sur la tête…Avec les bombardements lointains comme trame de fond se mélangeant au chant des oiseaux, on ressent un certain stress même s'ils prennent la chose généralement du bon côté. Quand même, on prend plaisir à lire ces passages plein de sens, car malgré le côté dramatique de ce que nos personnages vivent, ils trouvent le moyen de rigoler un peu et bien que grognons ensemble, juste pour s'agacer, la bonne humeur finit souvent par prendre le dessus.

« Qu'est-ce que t'as ? demanda Pachka, soupçonneux.
- Ben, t'es comme une cloche à l'envers, avec ton col. Ta tête est minuscule au milieu d'un tel luxe.
Elle est comme elle est, grogna Pachka. Et puis c'est plus compliqué pour une balle de toucher une petite tête, alors qu'une grosse comme la tienne, à un kilomètre, on peut pas la rater. »

Sergueïtch, apiculteur, se sent responsable de ses abeilles, de ses ruches, comme s'il s'agissait de ses propres enfants et il pense à leur bien-être avant le sien. Pour cette raison, dès que le temps le permettra, au début du printemps, il tentera de leur éviter le stress du combat se rapprochant de chez lui pour les emmener en terrain plus calme. Leur offrir un oasis de verdure et de paix, loin de tout ce grabuge. Pourtant, laisser son « ami-ennemi » Pachka derrière lui causera bien des maux de tête…

Leur histoire est bouleversante, attachante, elle nous écorche. Sans jamais pouvoir comprendre ce qu'ils vivent concrètement pour avoir à ce jour eu la chance de ne pas connaître ce qu'est la guerre, on ne peut que tenter d'en imaginer une parcelle. Tout ce que cela peut impliquer et représenter pour un être humain. Perdre des gens. Devoir quitter son chez soi. Tout. C'est leur vie en plein chaos qui se déroule sous nos yeux. Et malgré tout, leur moral continue de les porter un jour à la fois. Malgré la tension, on sourit avec eux.

J'ai adoré chaque page de ce bouquin ! C'est comme un arc-en-ciel, où chaque couleur traduit une émotion. On comprend que la situation est loin d'être rose. Mais on perçoit toute la résilience qui subsiste chez ces gens qui ne se plaignent jamais, tous ceux qui refusent de baisser les bras et continuent d'apprécier la vie peu importe ce qu'il advient. Et pourtant, il serait certainement plus facile de perdre courage, d'abdiquer, de laisser la place à la peur. Je pense que je n'aurais pas ce courage. J'éprouve un immense respect envers tous ceux qui vivent des situations tellement difficiles, des situations qu'on peine à seulement imaginer tellement cela doit être pire que ce qu'on pense.

C'est un livre qui raconte les choses telles qu'elles le sont, sans artifices. Tout n'y est pas noir, tout n'est pas négatif. C'est en même temps une belle histoire, lumineuse et d'un amour décapant. Et puis il y aussi les abeilles, qui sont comme le soleil trouant l'obscurité. Elles jouent un rôle important, créant un lien tangible, solide, entre les hommes.

Avant que la Russie n'attaque l'Ukraine en février, je ne connaissais pratiquement rien au conflit qui couve depuis si longtemps…Merci à Horde de m'avoir tellement donné envie de lire cette pépite, c'est véritablement un de mes titres préférés cette année et je vous invite à mon tour à aller y voir plus profondément car à travers les personnages de Sergueï et Pachka, ainsi que de leurs rencontres (dont Petro, Galia, Aysilu, Bekir et Ayse), il aide à comprendre ce que vivent les Ukrainiens en ce moment même ! Une découverte qui saura vous émouvoir…

LECTURE THÉMATIQUE D'AOÛT: LIRE EN COULEURS
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