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Critique de JIEMDE


Chez Albin Michel, Terres d'Amérique ambitionne de « dessiner une géographie littéraire forte et sensible à rebours des images toutes faites et des idées reçues sur l'Amérique » : pas de doute, Sana Krasikov y a bien toute sa place. Dans Les patriotes – traduit par Sarah Gurcel – elle nous embarque là où l'on ne s'y attend pas : dans une relecture passionnante et réfléchie de 75 ans de relations USA / URSS (puis Russie), à travers une saga familiale sur trois générations.

Fuyant dans les années 30, les relances incertaines de l'Amérique post-dépression de Roosevelt pour les promesses – encore plus aléatoires – de l'URSS post-révolution de Staline, Florence Fein se lance sur les traces de Sergueï, amour déclencheur de son exil. Des déserts glacés de l'est de la Russie avant de revenir à Moscou, sa petite histoire va traverser la grande (espoirs naïfs du collectivisme, chaos de la Seconde guerre mondiale, purges staliniennes, exils et camps…) et ébranler ses convictions, sans jamais totalement y renoncer.

Paradoxe et double peine, Florence une fois totalement intégrée au régime soviétique devra subir les soupçons liés à son américanité, l'antisémitisme latent là-bas comme ailleurs, tout en perdant un beau matin sa nationalité, devenant une de ces refuzniks abandonnés de tous. Des années plus tard dans la Russie Poutinienne, son fils Julian profite d'un séjour professionnel en Russie pour découvrir les archives enfin exhumées de l'ère stalinienne et à travers le dossier de sa mère, ce pan d'histoire familiale cachée.

Même si l'entrée dans le livre est un peu ardue, le temps de s'habituer au thème, on se laisse vite embarquer dans l'exercice de style réussi de Krasikov : alterner les narrations et les époques ; mélanger faits historiques -sans en faire un cours magistral ni étaler abusivement ses longues recherches- et saga romanesque ; décrire les petites horreurs du quotidien et les exterminations politiques sans tomber dans le pathos ni le sensationnalisme ; soigner son écriture tout en la gardant accessible pour mieux servir son sujet délicat…

Ça fonctionne, et ça fonctionne même plutôt bien, d'autant plus que Krasikov prend le parti de ne rien juger mais de laisser au contraire ouvertes la plupart des interrogations qu'elle suscite. Les tourments de Florence ne tournent-ils pas au syndrome de Stockholm, subissant les coups de ses bourreaux sans aller jusqu'à condamner leur idéologie ? le système corruptif des affaires dans la Russie d'aujourd'hui que découvre Julian n'est-elle pas la forme contemporaine de la société soviétique à deux vitesses d'antan ? Mais aussi comment les choix, entêtements, combats, convictions de Florence ont-ils influé sur la vie de son fils ? Et Julian peut-il interrompre la reproduction d'un tel schéma avec son propre fils ?

Autant de questions qui font de ce livre une lecture riche donc, de celles dont on se souvient.
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