AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Seijoliver


Le journaliste Tadashi Mukaidani s'est entretenu longuement – une trentaine d'heures – avec Masatoshi Kumagai, 56 ans, adjoint du directeur général du clan Inagawa-kai, soit autrement dit, un cadre, membre de la direction exécutive d'un clan de yakuzas, le troisième en importance du Japon.
Le livre n'est pas la simple retranscription de ces entretiens : ceux-ci sont insérés dans un récit qui revenant sur le parcours de Masatoshi Kumagai, permettent de découvrir ce qui a conduit cet homme à ce parcours atypique : aucune attirance en soi pour le monde du crime, et carrière singulière (grande responsabilité hiérarchique alors qu'il est relativement jeune).
Le monde des yakuzas a beaucoup changé ces dernières décennies (tant pour des raisons législatives répressives, que pour des raisons économiques – crises et changement d'activités) et Kumagai incarne une nouvelle manière de faire. Par ailleurs, c'est un homme qui réfléchit constamment à ce qu'il fait et à l'image que doit donner son milieu.

Confessions d'un yakuza est moins un livre sur les yakuzas que le portrait d'un homme qui s'est choisi cette profession, nullement par fascination, plus par défaut, suite à des rencontres qui l'ont orienté vers ce monde, lui qui aurait voulu être policier : « il est tombé dedans en suivant les méandres du destin » (p. 26).

On découvre un homme bien plus complexe qu'il n'y paraît. Sa participation à un film documentaire en 2007, ses apparitions dans les médias, tout comme ce livre sont pour lui l'occasion de livrer une image moins délétère des yakuzas, s'éloigner des clichés (sur la violence, l'argent, l'héroïsme) et être utile à son milieu : pour Kumagai, le collectif, l'intégrité passe avant le personnel. L'homme est perspicace, curieux, moral, au sens où l'injustice et le mensonge le révulsent, un profil extrêmement intéressant compte tenu de son statut et de son milieu : se hisser – assez jeune – dans la hiérarchie du crime organisé suppose une intelligence certaine.

Kumagai est un homme qui s'estime être toujours en apprentissage : ainsi lors de sa « dégringolade » hiérarchique – avant sa réhabilitation et son ascension au poste actuel - , comme une herbe coriace (référence à une expression japonaise extraite du Livre des Han postérieurs, classique chinois un V° siècle) il s'est accroché, révélant son endurance et tirant de cette expérience des leçons. S'améliorer est chez lui une constante, mais aussi pour ses subordonnées qu'il faut éduquer : « les oyabuns qui n'expliquent pas à leurs hommes pourquoi ils les réprimandent ni comment éviter de répéter leurs erreurs, sont sur la mauvaise voie ». (p. 320)
De même ses réflexions sur le langage sont pertinentes : « ceux qui deviennent chef doivent toujours garder à l'esprit que leurs mots et leurs actions résonneront en leurs subordonnés, et se demander de quel façon ils risquent de les influencer » (p. 194).

Un point important, sur lequel insiste souvent le livre, est le parallèle constant entre le monde économique et le monde des yakuzas qui fonctionnent de la même manière. le clan fonctionne comme une entreprise, avec sa hiérarchie, son système de formation, et les relations de confiance avec les partenaires sont primordiales. A ses débuts dans le clan, Kumagai est étonné par certaines méthodes utilisées, notamment pour régler des conflits, et il décide de les changer : dans une logique gagnant-gagnant, établir de bonnes relations, établir une bonne réputation réciproque est prioritaire. Il a conscience du handicap social attaché au yakuza, et que les affaires soient légales ou pas, la confiance entre partenaires est donc importante.

Ce sens des responsabilités est une constante chez Kumagai : lorsqu'il crée « son groupe », il sait qu'il doit « inspirer à la fois crainte et réassurance » (p. 267) : soit permettre à ses subalternes de manger, tout en leur inspirant une certaine peur. Être « chef » c'est aussi accepter quand il faut prendre des décisions le conflit entre individu et organisation : « c'est dur, mais c'est la tâche qui incombe à ceux qui sont tout en haut » (p. 135). Responsabilité et compétences. Ce n'est pas la force, mais par sa conduite, sa façon de penser et par ses prises de paroles qu'un supérieur est respecté. Comme dans un entreprise… des qualités de leader : « savoir repérer » la bonne personne « et canaliser son énergie au profit de l'organisation » (p. 233).

Kumaigai a longtemps été un « indépendant », et il est assez surprenant, ou remarquable, qu'il ait fréquenté pendant des années un clan de yakuzas sans jamais l'avoir officiellement intégré. On comprend qu'il est devenu yakuza, non pas parce qu'il était un voyou, mais parce qu'il y a trouvé une voie. Si travailler est une nécessité, être yakuza pour gagner de l'argent n'est pas une fin en soi. Kumagai a trouvé plus qu'un métier : un art de vivre, un kagyo, où le sens de l'honneur et la fidélité à ce qu'il pense être juste sont réalisés.

L'objectif du journaliste Tadashi Mukaidani est bien de nous inviter à réfléchir à la destinée, aux relations humaines dans des univers au final très ressemblants, chefs d'entreprise et boss de clans.
Mission parfaitement réussie !
Commenter  J’apprécie          10



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}