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Critique de FrancisDumaurier


Aujourd'hui, le 1er mai 2018, marque le début officiel du souvenir du Grand Cirque, et je peux déjà voir une liste de conférences organisées pour que les bien-pensants viennent nous expliquer l'inexplicable.

La récupération a déjà recommencé. Il y a 50 ans, les étudiants de Nanterre dont je faisais partie ont passé un hiver de contestation permanente à la suite d'une performance mémorable dans son amphithéâtre de “Mysteries and Smaller Pieces” par le Living Theater qui a ouvert des portes sur un inconnu philosophique, psychologique, spirituel, et intellectuel en nous forçant à remettre en question toute l'éducation bourgeoise, cartésienne, et catho-gaulliste que nous avions reçue depuis notre naissance.

Une réforme de l'éducation a fini par être le cri de ralliement qui a provoqué le Mouvement du 22 Mars lorsque une poignée de contestataires politisés a occupé le bureau du Doyen Grappin. Les petits bourgeois bien-pensants ont suivi, mais la récupération a commencé avec les Trotskistes, Maoïstes, Léninistes, Anarchistes, Communistes, Socialistes, Bakounistes, etc… qui ont trouvé une porte entrouverte qu'ils ont défoncée pour sortir de l'ombre où ils étaient nés discrètement.

Par la suite, les syndicats et les ouvriers se sont mis en grève et ont fini par suivre les étudiants dans la rue. La récupération institutionnalisée fut alors complète et le mouvement étudiant s'est alors retrouvé à poil entre les grands joueurs classiques de la politique française.

Aujourd'hui, la récupération reprend avec un programme classique de conférences, de films et programmes à la télé, d'événements, et probablement de manifs …

Mais pour ceux qui l'ont vécu – comme le Phil de “Sexy Sixties” et moi-même – Mai 68 n'avait rien à voir avec le monde de la politique institutionnelle. C'était une expression de joie de vivre, de musique, de littérature, de poésie, d'exploration de soi et du monde extérieur, de découverte sexuelle, et donc d'échappatoire du carcan dans lequel nous avions grandi.

Comme Phil, je lisais Kerouac – à tel point que j'ai écrit mon Mémoire de Maîtrise intitulé “Un Portrait de Jack Kerouac d'après Desolation Angels” … je faisais du stop pour aller à Londres, Amsterdam, et Copenhague … je suivais les sorties de disques qui marquaient les jalons de mon évolution – principalement ceux des Rolling Stones … et je suivais mon compas intellectuel et spirituel de liberté et d'expression individuelles.

Puis comme Phil, je suis sorti des frontières de l'Europe. Beaucoup de mes amis allaient comme lui vers l'Afghanistan, l'Inde et le Népal, et je suis allé dans cette direction jusqu'en Turquie. Mais mon monde se situait plus à l'Ouest et je suis allé à la découverte de l'Amérique. Sans l'avoir planifié, j'ai passé mon premier week-end aux Etats Unis au Festival de Woodstock à la suite de quoi j'ai jeté mon billet de retour et ai passé 9 mois à San Francisco en 1969-1970. Mon univers interne y a basculé en découvrant une culture différente qui m'a transformé bien plus que le brouhaha de Mai 68 à Nanterre et Paris.

Lorsque je suis rentré à Paris, je ne pouvais plus communiquer avec mes anciens “amis”. Nous ne parlions plus la même langue et je n'avais plus rien en commun avec eux qui se repassaient encore tous les jours leur film de Mai 68. Par contre, quand je lis “Sexy Sixties” je comprends Phil. L'auteur lui donne une vie sincère et intègre dans laquelle je me retrouve aisément. Nous avons beaucoup de choses en commun et les quelques différences sont normales et faciles à accepter.

Quel impact Mai 68 a vraiment eu sur la France, et qu'en reste-t-il 50 ans plus tard ? De Gaulle a été suivi par Pompidou puis par Giscard d'Estaing. Pas exactement une réussite politique. La réforme de l'éducation a été suivie par plusieurs, et c'est toujours une oeuvre en chantier. Pas exactement une réussite non plus. Les grèves et manifs d'avril-mai sont toujours un rite de passage annuel. Plus ça change, et plus c'est la même chose.

Socialement, dans mon groupe d'étudiants où il y avait 6 ou 7 filles de plus que de garçons, les filles ont marqué leur indépendance en perdant leur virginité en masse pendant le mois de mai 1968. de mai à septembre, la France a connu une explosion de libération sexuelle que nous n'avions pas connue depuis que nous étions nés, mais tout a repris son train-train habituel à la rentrée … et la plupart de ces exploratrices sont devenues des petites-bourgeoises tranquilles par la suite.

Beaucoup de mes copains ont suivi la route de Phil. Moi, je me suis retrouvé en Amérique Latine pendant 6 ans (un an comme guide de safaris en jungle amazonienne colombienne, puis 5 ans à Rio de Janeiro) avant de venir à New York où je vis depuis 41 ans. D'autres sont allés en Afrique, d'autres plus loin en Asie. Mais, à l'époque, nous partions en voyage pour découvrir le monde. Maintenant, on n'entend plus parler que de fuite des cerveaux et de fuite du capital.

Personnellement, il ne me reste qu'une chose tangible de Mai 68 : un clou de passage clouté que j'avais trouvé sur une barricade proche de la Place de l'Odéon. Ça, au moins, c'est concret. Je peux le toucher quand je veux. Je l'ai placé sur une étagère de mon salon et, quand je le vois, il me fait sourire en pensant à ce que j'avais et que j'ai toujours : mon esprit contestataire, l'amour du rock and roll, l'appréciation des femmes qui sont heureuses de l'être, et le fait qu'il n'y a pas de mal à vieillir en gardant l'esprit jeune.

Tout le reste est du pipeau … et je m'attends à une litanie de banalités qui vont nous rabattre les oreilles au sujet de Mai 68. Les anciens combattants vont se faire entendre mais, comme le disait si justement mon père avec qui je n'avais pas grand-chose d'autre à partager à l'époque : vous êtes les anciens combattants d'une guerre qui n'a jamais existé !

Merci à Patrick Kurtkowiak pour l'intégrité de ses “Sexy Sixties”. Ceux qui ont vécu cette époque du bon côté des barricades s'y retrouveront, et ceux qui n'en ont entendu que des bribes découvriront ce qu'il faut en retenir.

Lien : http://xpatny.free.fr
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