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Critique de Seijoliver


L'été 1970, André L'Hénoret est arrivé au Japon avec un visa de missionnaire. Apprenant que l'évêque de Yokohama recherche un prêtre-ouvrier français pour vivre au milieu des Japonais dans la ville de Kawasaki il s'est porté volontaire. Il est nommé vicaire dans une petite paroisse de Kawasaki, à Asada (200 000 hab.) ; la paroisse compte 150 baptisés.
Kawasaki est la banlieue ouvrière de Tokyo : « on y trouve 40 000 entreprises employant environ 550 000 travailleurs ». Missionnaire convaincu, pour lui, l'Asie est devenu le centre du monde et « c'est là que le Christ est le moins connu ». Par ailleurs « la solidarité internationale du monde ouvrier [l]'intéresse ». André L'Hénoret veut aussi lui être utile.
En effet à côté de la mission proprement d'évangélisation, l'auteur, issu lui-même du monde ouvrier, veut être un « trait d'union entre deux histoires, deux mentalités, deux mondes qui s'ignorent » et cela au nom de la solidarité internationale des travailleurs.
Il restera vingt et un ans au Japon, tenant quasi au jour le jour un journal. Près de trois ans lui seront nécessaires pour apprendre la langue, condition indispensable pour lui permettre de postuler et travailler dans des entreprises.
Le récit du Japon d'en bas peut commencer.

Au long des 31 chapitres de ce livre, André L'Hénoret rend donc compte de la réalité du travail des PME japonaises. Pendant près de quinze ans il va travailler dans des petites entreprises (dix ans dans la dernière, une boite de construction métallique) faisant principalement de la sous-traitance pour des grands groupes, faisant le travail des 3 K : kitsui (dur), kitanai (sale) et kiken (dangereux). Comme partout le travail manuel est déconsidéré.

Le récit est passionnant, détaillé : les chantiers aux conditions de sécurité douteuses, les voyages d'entreprise, le 1er mai qui n'est pas un jour férié, les accidents de travail, mais aussi les fêtes, les grèves, le flou des règlements intérieur, les licenciements abusifs etc.

Je m'arrêterai juste trois points : le travail, la passivité, la soumission.
Le travail, écrit-il est une idole, la valeur suprême. Bien évidemment quand les salaires sont bas, faire des heures supplémentaires est une aubaine (bien que ces heures sont payées bien moins que les heures normales). Pour lui, un juste équilibre doit être trouvé en heures de travail et heures consacrées à la vie en société, en famille, le droit d'avoir des loisirs. Ce que ses camarades de travail ne comprennent pas : « c'est trahir les copains que de se reposer et les laisser seuls faire des heures supplémentaires...tu ne penses donc jamais à la boite ? »
La conscience ouvrière. Elle est anesthésiée. La discrimination fait des ravages : discrimination entre les postes (la verticalité !), vis à vis de l'étranger, ou entre ouvriers. L'entreprise étant vécu comme une famille, toute personne extérieure est d'abord un « étranger ». Les ouvriers divisés en groupes, en entreprises, se sentent peu solidaires. Majoritairement n'existent que des grands syndicats d'entreprise totalement passifs et dont les revendications sont en général décevantes. Les syndicats combatifs -jugés comme gauchiste et dangereux - subissent d'énorme pression. Aussi quand André et ses camarades réussissent à s'organiser et à créer une section syndicale c'est un vrai changement !
L'inertie. « Deru kugi wa utareru » est une expression japonaise signifiant : le clou qui dépasse appelle le marteau. C'est une bonne illustration de la société traditionnelle qui préfère la conformité et l'harmonie sociale à l'indépendance et à l'expression individuelle. Si l'auteur remarque que « la soumission et le sens de l'obéissance quasi militaire de nombreux japonais [l]'étonneront toujours », jamais il ne juge ni ne condamne les ouvriers avec qui il travaille. Au contraire. Et de raconter aussi la solidarité, ainsi que des expériences militantes singulières à travers l'exemple de syndicalistes ou d'une entreprise autogérée.

André L'Hénoret, sans doute parce qu'il est un croyant, est un homme d'espérance, qui sait, par sa réflexion avisée sur le monde ouvrier, qu'en s'organisant les choses peuvent changer : c'est dans ses petites entreprises et les associations de citoyens – à taille humaine ? - que peut venir cette espérance : « C'est le petit nombre de ceux qui relèvent la tête et luttent pour leur dignité qui devient germe de changements plus profonds ».

Janvier 1990, André L'Hénoret a 55 ans. Il décide de cesser son travail à l'usine. Quelques temps plus tard il reviendra en France.
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