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Critique de Nastie92


Oui, mais...
Les Carnets du vertige ont été édités en 1956, quelques mois après la mort de Louis Lachenal dans une crevasse de la vallée blanche, à partir de notes qu'il avait rédigées dans l'intention d'en faire un livre. Gérard Herzog les a rassemblées, complétées et a écrit des transitions.
En 1996, Jean-Claude Lachenal, fils de Louis, vient trouver l'éditeur Michel Guérin avec des manuscrits inédits de son père et les Carnets du vertige sont réédités dans une version enrichie. C'est cette version que j'ai en main.
Autant le savoir tout de suite, la plus grande partie du livre a été écrite par Gérard Herzog. En fait, quasiment tout, sauf l'histoire de l'Annapurna.
Louis Lachenal fait partie des alpinistes de légende. Il a, avec Maurice Herzog, été le premier homme en haut d'un sommet de plus de huit mille mètres : l'Annapurna. Ascension qui a radicalement changé sa vie ; il y a un avant et un après Annapurna.
L'avant : toute la partie biographique rédigée par Gérard Herzog est très intéressante pour qui veut en savoir plus sur Louis Lachenal, l'alpiniste et l'homme. Des documents variés enrichissent le texte : croquis et récits par Lachenal de quelques-unes de ses premières grandes courses, portraits au crayons qui révèlent chez l'alpiniste un talent certain de dessinateur, et comme toujours dans les livres de l'éditeur Michel Guérin, de nombreuses photos. Certaines pages sont émouvantes, comme ces photos du "livret de porteur" sur lesquelles on peut lire diverses appréciations de clients qui ont effectué des courses avec le tout jeune diplômé : "Notre chef de cordée Lachenal fait montre d'une virtuosité étonnante. Nous le recommandons à tous les alpinistes inexpérimentés.", "Grâce aux mérites du guide Lachenal, nous effectuons la montée sans difficulté.", "... Lachenal Louis qui m'assurait et m'instruisait sur l'art de faire de l'alpinisme. J'espère qu'un jour il aura le bonheur de vous guider et de vous tenir ensuite au bout de sa corde.".
D'autres passages sont drôles, comme lorsque Gérard Herzog raconte les légendaires fringales de Lionel Terray qui régulièrement s'arrête en pleine paroi disant avoir faim et passe une demi-heure à dévorer des quantités astronomiques de nourriture.
Louis Lachenal vit très modestement de sa passion de la montagne et l'on suit sa vie avec sa femme, ses enfants, ses amis : on est très loin de l'image d'un héros hors d'atteinte, on a sous nos yeux la vie d'un homme simple. Et cette simplicité et cette authenticité le rendent particulièrement touchant.
Le coeur du livre est le "Journal de l'Annapurna".
Je laisse le soin à son auteur de vous le présenter : "Je possède un document qui m'est précieux, le cahier sur lequel, seul des membres des cordées d'assaut, j'ai tenu chaque jour mon journal personnel. Avant le départ, j'avais collé sur les cartons de couverture les photos que je voulais garder sous les yeux, celles de ma famille dans notre chalet des Praz. Ainsi c'était déjà, pendant l'expédition, le cahier du souvenir. Le style est... ce que l'on verra ; la littérature était alors un moindre souci. D'ailleurs je crois que, livrées à l'état brut, ces notes n'en reflètent que mieux, pour un montagnard, le climat de l'altitude : la philosophie, autant que la littérature, est une occupation de vallée. [...] Là-dessus je frappe les trois coups et l'on commence. "
Dans ce journal, Lachenal a écrit jour après jour l'histoire de la conquête historique. Son écriture est simple et souvent émouvante dans cette simplicité. Lachenal raconte les petits détails qui font le quotidien de l'expédition et son récit couvre plus de trois mois d'aventure, incluant le voyage aller et le retour. On se rend bien compte de tout le travail d'équipe et des mérites qu'il faut reconnaître à chacun, contrairement à ce que l'on peut lire dans le livre de Maurice Herzog (Annapurna Premier 8 000) où l'auteur tire la couverture à lui d'une façon terriblement agaçante.
Ce qui suit la victoire sur l'Annapurna serre le coeur : Louis Lachenal a eu les pieds gelés lors de l'assaut final et ses dernières années de vie ont été une suite d'opérations plus douloureuses les unes que les autres et de combats ininterrompus pour essayer de recouvrer au mieux ses facultés de grimpeur. Dans cette bataille, il se montre d'une détermination sans faille, même s'il connaît de bien légitimes moments d'abattement : on ne peux qu'admirer cette volonté extraordinaire.
Il ressort de cette lecture que Louis Lachenal était un homme terriblement attachant, un alpiniste hors pair qui a connu un magnifique carrière, brutalement interrompue par son ascension la plus glorieuse, celle de l'Annapurna.
Ce livre constitue une lecture très intéressante pour toute personne qui s'intéresse à l'alpinisme, en particulier à ceux qui aiment découvrir son histoire à travers les grandes conquêtes et les hommes qui les ont effectuées. Il dresse le portrait d'un homme original et magnifique.
Alors, pourquoi le "oui, mais..." initial ?
Parce que quelque chose me dérange dans ce livre : le fait que les notes de Louis Lachenal aient été triées par Gérard Herzog, frère de... Maurice Herzog, que l'on peut tenir responsable de ce qui est arrivé à l'Annapurna. De là à penser que certains passages "gênants" aient pu être supprimés, certains aspects laissés de côté...
Le décès prématuré de Louis Lachenal l'a empêché de terminer la rédaction qu'il voulait entreprendre. Que quelqu'un ait mis de l'ordre dans ses notes, un alpiniste qui plus est : très bien. Mais pas Gérard Herzog : il ne pouvait pas être neutre, il était le plus mal placé pour mener à bien cette tâche.
La communication sur l'aventure de l'Annapurna a décidément été bien verrouillée : avant le départ de l'expédition les différents membres avaient signé une clause de confidentialité, s'engageant à ne rien révéler et à laisser Maurice Herzog publier le seul récit. Des années plus tard, son frère a fini de fermer le couvercle. Pour la vérité historique, c'est bien dommage.
Je laisse le mot de la fin à Louis Lachenal : "Nous étions tous éprouvés par l'altitude, je l'ai dit, c'était normal. Herzog le note pour lui-même. Plus encore, il était illuminé. Marchant vers le sommet, il avait l'impression de remplir une mission et je veux bien croire qu'il pensait à Sainte Thérèse d'Avila au sommet. Moi je voulais avant tout redescendre et c'est justement pourquoi je crois avoir conservé la tête sur les épaules. Je tiens à ce sujet à faire le point sur un incident qui a marqué notre dernière étape vers le sommet. Incident n'est d'ailleurs pas le mot. il s'agissait simplement de décisions normales à prendre, comme il s'en présente couramment dans les courses dans les Alpes. Je savais que mes pieds gelaient, que le sommet allait me les coûter. Pour moi, cette course était une course comme les autres, plus haute que dans les Alpes, mais sans rien de plus. Si je devais y laisser mes pieds, l'Annapurna, je m'en moquais. Je ne devais pas mes pieds à la jeunesse française.
Pour moi, je voulais donc descendre. J'ai posé à Maurice la question de savoir ce qu'il ferait dans ce cas. Il m'a dit qu'il continuerait. Je n'avais pas à juger ses raisons ; l'alpinisme est une chose trop personnelle. Mais j'estimais que s'il continuait seul, il ne reviendrait pas. C'est pour lui et pour lui seul que je n'ai pas fait demi-tour.
Cette marche au sommet n'était pas une affaire de prestige national. C'était une affaire de cordée."
RIP monsieur Lachenal.
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