Quiconque s'intéresse un tant soit peu à la montagne avec un M majuscule connait le personnage de
Louis Lachenal, voire son histoire digne d'un roman.
Se plonger dans cette vie c'est partir en « course » sur les hauteurs des sommets de l'alpinisme.
Lachenal est un être hors du commun, comme on n'en rencontre peu. Mozart pour la musique,
Marie Curie pour la recherche,
Van Gogh pour la peinture, Patrick Dewaere en ce qui concerne l'interprétation.
Lachenal et une poignée de grimpeurs français réputés forment ce que j'aime à appeler le troisième âge d'or de l'alpinisme si l'on considère les années 60 (au XIXème siècle) comme celle des précurseurs et amateurs anglais (Whymper, Mummery), les années 30 (XXème siècle) comme les « derniers problèmes des alpes » enfin résolus à peu de temps d'ntervale : face nord de l'Eiger et les Grandes Jorasses et, finalement, l'himalayisme des années 1950 inauguré par la victoire sur l'Annapurna dont il est question ici.
Le livre signé du frère de
Maurice Herzog avec lequel Lachenal allait être « l'homme le plus haut du monde » en 1950 relate quelques anecdotes du singulier personnage.
Etre entier, tout d'un bloc (de granit bien sûr!), impatient, exalté, capable de diviser par deux ou par trois les meilleurs horaires de courses, se sortant toujours indemne des pires situations, découvrant les joies de la conduite automobile après sa convalescence forcée, pied au plancher ou utilisant une brique posée sur la pédale d'accélérateur lorsque son pied le faisait trop souffrir; l'hommage à l'homme tait ses zones d'ombres. Car, forcément, tant de talent, de génie même, cache une face plus sombre. Ce portrait d'un surdoué bien qu'il soit signé Lachenal, n'est pas de sa main, excepté quelques notes sur l'ascension de l'Eiger et son carnet de bord de l'Annapurna, rédigés comme une main courante, nulle d'un point de vue littéraire, qui aurait demandé une réécriture qu'il projetait de faire avant ce banal accident de ski qui clôt une vie trop bien remplie pour durer indéfiniment.
Ainsi, le lecteur doit lire entre les lignes à la recherche des défauts que toutes ces qualités induisent forcément.
Volontaire et montrant une détermination et une motivation de chaque instant - peut-être un peu imbu de lui-même et n'acceptant pas qu'on ne le suive pas.
Doué pour chaque chose qu'il entreprend - mais n'acceptant pas la controverse.
Décidé, mais surement entêté et capricieux.
Gérard Herzog se laisse entrainer par son admiration sans bornes. C'est dommage, car le portrait sans suffisamment de nuances, est reçu comme ces fameux dessins animés (les cartoons) virevoltant à cent à l'heure.
Biscante, son surnom venant de Biscantin, le cidre dont il est un fin amateur en patois savoyard, est doué pour tout. Il fabrique ses chaussures, un bateau à peine sorti de l'enfance, construit son chalet résolvant du même coup la crise du logement.
Sa capacité à s'enflammer pour tout ce qui le passionne le pousse même à devenir le propre chirurgien de ses pieds mutilés, atroce souvenir lié à sa plus belle victoire : le premier huit-mille foulé par l'homme. Cette force de caractère qui l'a fait renouer avec sa meilleure condition cinq ans après devait, forcément, s'accompagner de doutes, d'impatience, qui devaient en faire quelqu'un de pas si facile à vivre pour son entourage. Je pense que le livre, écrit par sa femme, aurait été d'une toute autre nature, révélant davantage l'homme que le héros, plus contrasté dans ces humeurs. Mais peut-être cela était-il trop intime?
Reste quelques beaux passages de récit d'ascensions; sa rencontre avec
Lionel Terray avec qui il allait composer la meilleure cordée au monde à la fin des années 40 lors d'une course où ils devinent plus qu'ils ne voient Rébuffat dans la paroi des Grandes Jorasses; son engagement dans tout ce qu'il entreprenait : plutôt que de dessiner les plans de son chalet, il en construit la maquette puis, à la place de se plonger dans des ouvrages spécialisés sur sa construction, il va voir directement les chantiers en vallée, questionne les ouvriers; sa légendaire rapidité en montagne confrontée à l'anecdote de la cliente Suisse qui le suit comme son ombre sans paraitre essoufflée est un délice dont on ne saura jamais si l'histoire est simplement gonflée ou purement inventée (encore ce syndrome du « cartoon »).