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Critique de Pasoa


Pasoa
21 septembre 2018
Enfant d'un pasteur suisse et d'une mère iranienne, Bénédict Laudes enseigne un semestre sur deux la littérature comparée à la faculté de Lausanne puis en tant que professeur invité à l'université de Téhéran. Vu au travers des yeux de Nadir et Angélique, deux de ses étudiants dont il dirige les travaux de thèse, et de tous ceux qui l'approchent, Bénédict n'en finit pas d'éveiller leur curiosité, leur cédant peu de sa personne. Entre sentiments d'admiration, de jalousie et de méfiance aussi, la personnalité de Maître Laudes (ainsi est-il appelé par ses élèves) ne laisse décidément pas de place à l'indifférence.
À son caractère, il faut ajouter son apparence éminemment androgyne. Bénédict joue sur les apparences et cultive l'ambiguïté jusque devant le regard et la conscience des autres.

Mais, un fait particulier interviendra rapidement dans le cours de son histoire. Alors, qu'il s'apprête à prendre un vol pour Téhéran, le contrôle d'identité à l'embarquement suscite l'étonnement de la douanière en poste. La photo sur le passeport tout d'abord. Puis la mention Sexe: F.
Bénédict est Bénédicte.

Son arrivée à Téhéran ouvre une autre pan de sa personnalité, de son passé. Née en Iran, Bénédicte retrouve un pays où elle a vécu avec ses parents jusqu'à l'âge de treize ans. Dans la capitale comme dans la société iranienne dans son ensemble, règne une vraie fascination pour l'Occident, un intérêt qui ne va cependant pas sans une méfiance, voire un mépris, de ce même monde occidental, jugé dévoyé. Pour y vivre et y enseigner, Bénédicte est obligée de porter le hijab, de se dissimuler, de se conformer aux stricts usages d'une société religieuse et policée, de subir les vexations, les humiliations et la surveillance méfiante des Basidji, ces miliciens volontaires islamiques qui font régner l'ordre et la peur dans tous les pans de la société.

Fidèle à son idéal de libéralité, à l'instruction comme moyen de résistance et d'émancipation, attachée à sa mère qu'elle va retrouver en Iran, Bénédicte est dans son être, dans sa chair, dans son métier d'enseignante comme un trait d'union tracé entre les cultures orientale et occidentale. Un petit trait fragile, qu'un rien peut effacer. Être androgyne, elle est aussi le puissant révélateur dans la société iranienne de tous les rapports entre femmes et hommes.

Roman de l'altérité, roman sur la différence, "Bénédict" de Cécile Ladjali est un livre foisonnant et passionnant. L'androgynie de benédicte, ce caractère qui l'oblige au travestissement de la parole, du geste et du corps se révèle être, entre choix et nécessité, un acte personnel mais aussi politique, un acte ambigu plein de sensualité, de désir mais aussi de violence.
Le rapprochement jamais achevé entre l'Orient et l'Occident, l'éloge du savoir et de sa transmission, ce savoir qui instruit, émancipe ici mais qui est là-bas condamné et interdit, ce rapport de maître à élève, de l'autre à soi, de soi vers l'autre sont les autres thèmes de ce très beau roman.

Il y a dans "Bénédict" de Cécile Ladjali un peu de son histoire personnelle, un passé et un présent rapportés avec ironie, tendresse et lucidité, avec colère et dépit mais aussi avec bienveillance et un incessant espoir dans le pouvoir, dans la rencontre des mots et des cultures.

Au-delà des thèmes de ses romans, j'apprécie dans l'écriture de Cécile Ladjali ce rapport étroit, compulsif, indéfectible qu'elle a avec les mots, le langage, ce rapport enthousiaste et savant qu'elle entretient avec les histoires, les mythes, les références littéraires. Une écriture intuitive, édifiante et généreuse, toute à l'image de son auteure.
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