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Critique de gabb


gabb
06 septembre 2023
Il y eut d'abord la Claire des champs, née en terre paysanne, dans ce Cantal aujourd'hui dépeuplé qu'elle nomme son "pays premier".
Puis vint la Claire des villes, les brillantes études de lettres classiques à Paris et l'effervescence culturelle d'un quartier latin aux allures de "nouveau pays".
Deux pays, donc.
Deux salles, deux ambiances. Une première vie puis une seconde, la ferme familiale cernée de calmes pâturages et puis la ville immense, bruissante de mille vacarmes, riche de surprises et propice aux rencontres. Deux plans qui se superposent, deux strates d'existence et Claire au beau milieu, qui se tient là précisément, "à l'exacte croisée des temps, des lieux et de ses deux mondes soudain embrassés".

Quel plaisir alors que de voir se mêler, sous la plume toujours si joliment travaillée de Marie-Hélène Lafon, ces univers pourtant si distincts ! le premier s'éteint peu à peu, phagocyté par le second, mais tous deux façonnent à parts égales la personnalité de cette jeune femme réservée, curieuse et cultivée, qui adopte finalement sans mal les codes de le vie citadine sans pour autant oublier ni renier ses racines rurales.
En effet, si l'essentiel du roman se déroule à Paris (plus exactement entre les bancs de la Sorbonne, le petit appartement du XIIIème arrondissement et le guichet de la banque où la future enseignante travaille l'été pour financer ses études), les souvenirs du Cantal ne sont jamais bien loin, heureuses réminiscences portées par un courrier, une photo de famille, le fumet d'une terrine ou d'un saint-nectaire.
Et quelle sensibilité alors dans les évocations de cette terre lointaine, quelle finesse dans l'écriture, quelle justesse dans le savant mélange de parler régional et de langue érudite !

Car la prose de Marie-Hélène, c'est quelque chose !
Marie-Hélène ne dit pas "prédiction", elle dit "vaticination".
Elle ne dit pas "guindé" ou "apprêté" , elle dit "gourmé".
Elle ne dit pas "vêtement" mais "vêture".
Elle n'entasse pas, elle encaque.
Elle ne parle pas de "paradis" mais "d'empyrée", revendique certaines affinités avec le subjonctif plus que parfait, et exhume de son ébouriffant dictionnaire des "gynécées", des "fatrasies" et autres "irénismes"...
Bref, Marie-Hélène fait du Lafon, et c'est encore une fois très réussi ! Peut-être certains lecteurs chagrins considéreront-ils qu'elle s'offre là un exercice de style un peu ampoulé, et qu'outre les exposés minutieux des états d'âme de Claire et les quelques portraits auvergnats ou parisiens de ses proches, elle n'a pas finalement grand chose à nous dire.
Peut-être, leur répondrai-je, mais elle le dit tellement bien !

Richesse du vocabulaire, maîtrise de la langue, approche subtile des thèmes de l'absence, de l'exil et du temps qui passe : voilà un petit livre précieux, d'une grande délicatesse, qui parlera à tous les "déracinés".
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