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Critique de Bequelune


Voici un livre inclassable, quelque part entre l'essai et le témoignage, où s'entremêlent les voix d'un sociologue et d'une femme devenue militante suite à la mort de son frère lors d'un contrôle de police. Un livre inclassable mais stimulant, percutant ; aussi bien pour les analyses originales de Geoffroy de Lagasnerie, dont la capacité à renouveler notre regard sur le monde est décidément solide, que pour les mots d'Assam Traoré, femme impressionnante de force, de dignité et de justesse face à tout ce qu'à subi sa famille comme violences étatiques.

Pour le dire en une phrase, ce que propose ce bouquin c'est de réfléchir à la nature et aux fonctionnements d'institutions souvent données pour acquises (la Police, la Justice, la Démocratie mais aussi le Militantisme) à partir d'une situation locale, dont on peut pourtant tirer des questions et des enseignements riches. Cette situation, c'est la mort d'Adam Traoré dans une gendarmerie d'Ile-de-France, après ce qui aurait du être un "simple" contrôle d'identité.

Lagasnerie et Traoré enchaînent les prises de parole dans des styles complètement différents. Au jargon assez académique du sociologue, avec des concepts cisaillés comme des armes de guerre, répond l'écriture presque orale, répétitive mais convaincante, de la militante.

Quelques idées fortes se dégagent de cet ouvrage.
- Que le travail réel de la police est méconnu. On s'imagine volontiers le policier répondant à la violence initiale d'un gangster pour maintenir l'ordre social. Au quotidien, certaines des activités policières les plus courantes - comme le contrôle d'identité - sont pourtant en contradiction avec cette idée de base puisque c'est la police qui initie un cycle de tensions - pouvant provoquer des violences en retour qui seront punies. La police peut donc décider de provoquer, ou non, de la violence et les peines juridiques qui suivront.
- Que, selon les lieux géographiques et les origines sociales, voire ethniques, nous n'avons pas la même expérience de la police. Un mec comme moi, blanc et issu de milieu rural, comprends mal l'idée qu'on puisse se mettre à courir en voyant des policiers si on a rien à se reprocher. En même temps mon dernier contrôle d'identité date de plus de dix ans ? Je n'ai jamais eu à avoir peur de sortir sans ma carte d'identité... le vécu de certains jeunes hommes des quartiers est radicalement différent de celui de la majorité des autres jeunes de leur âge - et cette différence vient de l'omniprésence de la police et de ses micro-agressions quotidiennes (tutoiements, controles, fouilles, etc).
- Qu'on ne peut pas penser la police sans penser aussi le rapport à l'espace public, le sentiment de légitimité dans un pays qui se dit démocratique et égalitaire, le rapport à l'école aussi et aux orientations scolaires, à la prison, aux origines ethniques.
- que sous le vocable violences policières on tend à combattre les violences exceptionnelles, illégales, des agents de police ; mais que le fonctionnement "normal", quotidien de la police est lui aussi violent. Et que cette violence, associée à la capacité qu'ont les policiers de produire leur propre règle de droits puisque ce sont eux qui appliquent ou non les lois, pose des questions sérieuses sur ce qu'on appelle démocratie. Ainsi de la frontière beaucoup plus flou que prévue entre Etat de droit et Etat policier.

Le livre se termine par des interpellations aux mouvements sociaux. Est critiqué la volonté aussi systématique qu'idiote de vouloir une "convergence des luttes" qui détruit toujours le pouvoir d'un combat initial. Mais aussi la tentation de privilégier les analyses économiques, au détriment du rapport à l'ordre policier - pourtant central dans la vie quotidienne de bien des gens. Il le résume ainsi dans une interviex : "Aujourd'hui, il y a toute une réflexion à mener sur la remise en question de l'appareil répressif d'État, de la Loi, de la Police… Si l'on veut créer un mouvement de gauche aujourd'hui, le racisme et la question de la police sont peut-être la question centrale. "

Un livre très utile pour aider à penser les "violences policières" (terme que Lagasnerie récuse, d'ailleurs) et le rôle de la police dans nos pays occidentaux.
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