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Critique de MMChretien


Un portrait d'Haïti à travers les destins croisés de deux hommes, séparés par deux siècles d'histoire de l'île : de la libération des esclaves noirs à la fin du 18e siècle, au présent des haïtiens dans les cités bidonvilles de Port-au-Prince.

Tout commence avec une voix dans l'obscurité. Une voix qui appelle au secours, qui gémit, qui supplie et qui se meurt. Cette voix est celle d'un garçon de quinze ans enseveli après un tremblement de terre, sous les décombres de l'hôpital dans lequel il se faisait soigner pour une blessure par balle. En attendant d'être secouru, l'enfant se remémore sa vie, son enfance et raconte. Il s'adresse au lecteur, ou peut-être à lui-même et explique son parcours, son destin, celui de devenir un tueur à douze ans dans le bidonville de Cité Soleil.

A chaque chapitre le récit du jeune garçon alterne avec la grande Histoire d'Haïti, celle qui vit deux siècles plus tôt le soulèvement des esclaves noirs conduits par Toussaint Louverture, et qui préfigurèrent l'abolition de l'esclavage et l'indépendance de l'île. Le présent dialogue alors avec le passé, d'étranges connections se font entre la petite et la grande histoire, entre le petit caïd de la cité et le général d'armée. Par flash, l'adolescent se rêve en Toussaint, à moins que ce ne soit Toussaint qui rêve qu'il est le jeune garçon des bidonvilles. La mise en parallèle des deux époques et des deux destins, d'abord surprenante, est finalement très intéressante et permet de comprendre l'histoire tragique du peuple haïtien d'hier à aujourd'hui. Elle révèle aussi la permanence de croyances ancestrales et de pratiques religieuses qui ont toujours cours en Haïti : le culte des divinités autochtones, la vénération des ancêtres, la pratique du vaudou et de la magie, et la superstition parfois entretenue au sein des populations pour les maintenir dans l'ignorance, ou les tenir en respect.

Haïti, soleil noir est un roman aussi bouleversant qu'instructif sur l'histoire mal connue d'Haïti, et qui ne laissera pas le lecteur indifférent. Le destin de l'enfant d'aujourd'hui est particulièrement poignant et met en lumière la situation critique et les conditions de vie désastreuses d'une partie de la population dans les bidonvilles de Port-au-Prince, où règnent la violence, l'insécurité et la misère. On y découvre avec horreur des enfants armés jusqu'aux dents, confrontés à la mort dès le plus jeune âge, acquis à la loi des gangs, qui les prennent sous leur aile et les élèvent en petits soldats.
C'est là tout le paradoxe d'un système dont prend conscience peu à peu le lecteur : celui des gangs qui font régner l'ordre par la terreur, mais qui sont aussi les seuls à fournir nourriture et éducation aux familles de la cité, quand le gouvernement et les organisations humanitaires sont impuissants. Par la voix du jeune garçon, le roman apporte un éclairage vraiment enrichissant mais qui laisse sans voix sur les forces en présence et sur ce jeu précaire où les gangs dominent et où gouvernement, Nations-Unies et humanitaires peinent à trouver leur place et à apporter leur aide dans ce chaos.

Les chapitres mettant en scène Toussaint Louverture, essentiellement dans le cadre d'enjeux martiaux et de négociations, apparaîtront peut-être moins percutants face à l'horreur du présent, qui interpelle davantage parce qu'elle est malheureusement toujours d'actualité. Mais ils éclairent malgré tout la difficile histoire de l'île et de ses populations d'hier à aujourd'hui, et rappellent que les idéaux de liberté et de paix que portait l'ancien esclave pour ses pairs ne sont toujours pas une réalité.
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