Le Carnet de Geoffroy Pédescaus

Comme j'ai eu 12 ans le 4 novembre et que je travaille bien à l'école, Mémé de Bonnut m'a donné LE dictionnaire.

Le dictionnaire, c'est deux gros livres avec des couvertures en cuir un peu usées. Il y en a un qui s'appelle AK et l'autre LZ, mais tous les deux ensemble ils s'appellent le Larousse du XXe siècle.
C'est Mémé qui les avait eus pour son mariage. Ca fait voir que le XXe siècle il est commencé depuis un bon moment.

Avant, quand il pleuvait, ou que je demandais et que Mémé avait le temps, on regardait le dictionnaire.
- Lequel qu'on regarde ? AK ?
- Non LZ, on va regarder les instruments de musique.
(...) Pour trouver "musique", il fallait d'abord trouver M, puis après on tourne les pages avec MA, on s'arrête un peu à "marine" pour regarder les bateaux et tous les drapeaux qu'on y met dessus.
A ME, on regardait la page du système métrique avec (...) le double-décimètre pliant qui peut rentrer dans une poche qui fait 10 cm.
Puis on regardait les minéraux à MI et les mollusques à MO.
Il nous fallait une demi-heure pour arriver à "musique".

Cette page, on l'a regardée au moins mille fois et maintenant, on la connaît par cœur. On sait reconnaître les ophicléides et les sarrussophones. C'est facile, à côté des dessins il y a des numéros (...)

Avec Mémé, on connaît aussi tout le dictionnaire et on se bourre presque pas dans le nom des reptiles ou de toutes les sortes de tours d'un château fort. Et pour couillonner Mémé sur le dicco, c'est dur.
Pourtant, Mémé elle n'a été à l'école que jusqu'au certificat mais, le dictionnaire, ça fait plus de trente ans qu'elle le regarde.

Au cas où il y en aurait des qui seraient sensibles, je préfère le dire tout de suite : cette fois, ça ne va pas être rigolo parce que, justement, je vais parler de mon grand oncle Paul (le pauvre), celui qui s'est éteint prématurément à 76 ans.

J'écris "s'est éteint prématurément" parce que c'est plus poli de dire comme ça.

Remarque qu'on ne dit pas "allumer" pour "naître" alors qu'on peut très bien naître prématurément.

Cette année, comme j'ai eu dix ans, on m'a fait une confidence. Papa m'a demandé :
- Qu'est-ce que tu aimerais QU'ON T'ACHETE pour ton Noël !
L'année dernière on m'avait dit :
- Qu'est-ce que tu aimerais que le Père Noël te porte ?
Il parait que maintenant il n'est pas nécessaire que je croye au Père Noël. (...)

Je sais oui, qu'il y en a qui n'y croyent pas, et d'autres qui y font semblant, mais je dis que ce sont des couillons parce que, de toutes façons, ils sont obligés de faire comme si (...)

Pourtant j'en ai vu au moins 18, des Pères Noël, dans la rue, dans les grands magasins et tout, mais il y en avait aucun qui était le vrai. (...)
Moi, de ces Pères Noël, j'en ai pas peur parce que je suis content de me voir en photo, alors c'est même moi qui demande. Maman garde toutes ces photos et là-dessus, on voit bien que les Pères Noël, c'est pas tous les mêmes. (...)

Moi, je crois que je sais.

Les grands, ils croyent TOUS au Père Noël et c'est pour faire les forts qu'ils disent que non.

Ils croyent au Père Noël et même qu'ils se demandent ce qu'il doit penser d'eux avec tout ce qu'ils ont fait dans l'année, alors ils mettent des lumières qui clignotent et ils font semblant d'être gentils, le temps qu'on arrive à l'année prochaine. Parce qu'en cas, on ne sait jamais.

Faire du bois, c'est un gros travail mais maintenant je peux le faire parce que j'ai 10 ans (depuis dimanche) (...)

Avant de travailler, on a d'abord été chercher des châtaignes en regardant s'il n'y avait pas des champignons.

Après, on a attaqué.

C'étaient des arbres qui étaient déjà tombés depuis l'hiver dernier qu'il fallait couper en morceaux pour faire des bûches et des fagots.
Moi, je croyais qu'on allait faire tomber des gros arbres comme au Canada mais Pépé m'a dit qu'il fallait attendre que les arbres n'aient plus de feuilles et que la lune soit bonne.

D'abord, on a fait une baguette de un mètre pour mesurer le bois.
J'ai raconté à Pépé qu'on m'avait dit à l'école que pour mesurer le mètre on avait mesuré le méridien de Dunkerque à Barcelone pour connaître le quart du tour de la terre et qu'après on avait divisé par 10 millions.

Alors Pépé m'a dit :
- Eh bé hôôu ! T'es intelligent !
Attends, je vais te montrer moi une façon plus commode.

Malheureusement, voilà, quand il a fait beau, il est sorti et il s'est échappé.
Papa a demandé partout dans le quartier, mais on n'a pas pu lui dire où il était. (...) Alors Papa a pensé à mettre une annonce dans l'Echo Béarnais.
Je l'ai découpée et je la colle là :

LA PERSONNE qui a été vue en train de prendre un chien-loup répondant au nom de Rex est priée de le ramener avant poursuite.
S'adresser au journal.

Dans ce journal, il y avait aussi une autre annonce de chien, pas loin, que j'ai collée aussi :

TROUVE, grand chien berger allemand, jeune, très gentil mais égorgé 22 poulets. Adresse au journal.

Mais Papa a dit que ce n'était certainement pas Rex et on n'en a plus entendu parler.

On a pris un taxi et Tati a demandé au chauffeur de passer par les quais pour que je voye la Tour Eiffel.
J'ai pu la voir depuis la glace de derrière, elle est très-très haute, plus haute que le pylône de Saint-Boès, et encore, je n'ai vu que le haut.

Je suis puni

Maintenant, je suis dans le grenier, dans le coin où il y a la pile des vieux Télé-7-jours et le poste qu'on avait, le noir et blanc ; il ne marche pas parce qu'il n'est pas branché mais moi, j'y ai fait Gros Minet dessus la glace avec des feutres.

Je suis au grenier parce que mon père m'a envoyé dans ma chambre, et quand mon père m'envoie dans ma chambre et que ce n'est pas juste, je vais au grenier.

- Té, tu la sais, l'histoire de Fauthié ?
- Non !
- Eh bé, ya pas longtemps, il avait le renard aux poules, il a envoyé le chien, le chien l'a couru et tout d'un coup il s'est mis à aboyer en l'air :
le renard était monté dans un arbre !
- Bah ?
- Té, c'est vrai oui ! Même qu'il a dû regretter de le tuer parce que des renards qui montent aux arbres, c'est rare !

Ca alors, c'est une histoire qui me fait rire, pas pour le renard, le pauvre, mais à cause de la tête du monsieur qui a dû se demander si ce renard n'allait pas remuer ses ailes et s'envoler.

Après, j'ai voulu aller lire un peu aux livres, mais Maman m'a rappelé :
- Ecoute Geoffroy, tu ne vas pas te mettre à lire maintenant, viens, il faut que je t'essaye un short pour les vacances ! (...)

J'en avais déjà marre, surtout qu'après il fallait aller voir les armoires qu'il faut peindre soi-même, les abat-jour en ficelle originaux, les congélateurs pour mettre les canards et les haricots verts de Mémé, les barbecues pratiques, les parasols comme celui qu'on voulait mais qui n'a pas les coloris comme les chaises longues ...

Moi, j'aurais voulu aller lire.

Mémé m'a demandé :
- Maman m'a laissé une boîte de Coiquèroits, tu en veux ou tu veux du Nescouic ?
- Je voudrais de la ventrêche avec un œuf comme Pépé !
- Moundiou ! Ce mounard ! (Qu'il est mignon !)
Ta mère va me crier, tu sais que tu as l'estomac fragile !
- C'est dans l'auto qu'il est fragile, pas à Bonnut !