Michel-ange, depuis ses dix-sept ans et l'accostage incroyable des caravelles espagnoles aux Amériques, le sait. Il sait que l'Infini est une question de point de vue. [p.17]
Ainsi la "Pietà" qui divorce avec l'exaltation contemporaine pour lui préférer un désespoir recueilli. L'allégresse mariale a cédé le pas à une dévotion mystique, l'idéalisme rayonnant à un réalisme crépusculaire.
Diluant sans cesse le plaisir dans la tristesse, Michel-Ange souffre de jouir. Et inversement. Déchiré entre ses hautes aspirations et sa basse extraction, entre un absolu créatif et une vie singulière, il confesse ne pouvoir jamais prétendre à la satisfaction.
Goethe résume ainsi son désarroi né de la contemplation de cette aveuglante beauté ("le Jugement dernier") : " Et pour l'instant, je suis si fanatique de Michel-Ange, que je ne suis même pas capable de goûter la nature après lui, puisque je ne peux pas voir avec des yeux aussi sublimes que les siens."
Ses maux, il les recense sans concession :
" j'ai un frelon dans la fiole; j'ai des os
assortis de ligaments dans un sac de cuir,
et j'ai trois pilules de poix dans une gousse.
Mes yeux violacés sont battus et pochés,
mes dents sont pareils aux clefs d'un instrument
et leur branle entrave ma voix ou la libère.
Mon visage inspire l'effroi; quant à mes hardes,
elles font fuir sans autres armes les corbeaux
d'un champ où les semences attendent la pluie.
Amour, grottes fleuries, muses, ce que je chante
ou gratte devient tambourin et papillote
pour l'auberge, le lupanar ou les chiottes."
Mot intraduisible quoique recurrent, la terribiltà est la fougue sévère ou l'ardente violente, la braise sans la flamme, la gravité d'avant la colère, ce qui consume mais ne brûle pas, ce qui gronde mais ne crie pas.
Michel-Ange est le fossoyeur des temps anciens et le père des temps modernes.
Discrètement, Michel-Ange réorganise le visage d'une ville morcelée par les siècles et les histoires. Elaborant coupoles et escaliers, fenêtres et façades, il modèle le tissu urbain (de Rome) et cicatrise ses nombreuses plaies.
Le plafond (de la chapelle Sixtine) est un livre avec son sens de lecture, ses chapitres et sa mise en page.
Le corps androgyne du "Bacchus" - homme et femme, antique et moderne, religieux et humaniste - est monstrueux et sublime. Comme cette époque.