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Critique de Antyryia



La première chose que j'ai retenue de ce polar suédois, c'est que l'argent est un sujet si peu tabou en Suède que chaque citoyen a accès aux patrimoines et aux salaires des uns et des autres. L'office des impôts vous renseignera sur l'argent gagné par votre voisin ou votre patron, pourvu que l'information ne soit pas protégée par un secret d'Etat.
En France, c'est l'inverse. Même s'il s'agit bien de notre dossier, c'est parfois impossible d'être renseigné. Je me souviendrais toujours d'une personne qui n'avait pas reçu sa taxe d'habitation et qui a appelé en vain le service concerné sans jamais réussir à avoir un interlocuteur. le jour de l'échéance, désireux de payer son impôt en temps et en heure, il tente d'autres numéros de téléphone et finit par tomber sur moi, qui travaillait dans un autre service. Au vu des circonstances, j'ai édité son avis et je lui ai dit qu'il pouvait passer le récupérer directement sans passer par la case "deux heures de file d'attente", muni de sa pièce d'identité. Et c'est ainsi que ça s'est passé. Quelques semaines se passent, et je suis convoqué par mon chef de service, qui voulait savoir pourquoi j'avais été consulter le dossier de ce monsieur. J'explique et là, j'ai droit à une petite leçon de morale comme quoi il ne fallait surtout pas faire ça, que ça n'était pas mon rôle, qu'il fallait absolument respecter les compétences de chacun, que mon erreur ne devait surtout pas se reproduire.
Et moi qui pensais que mon initiative serait saluée, que l'usager était au coeur de nos missions ...

Débattre des intérêts et inconvénients de la transparence fiscale prendrait trop de temps. Aucun des deux principes ne me paraît satisfaisant mais j'imagine qu'une barrière culturelle et professionnelle m'empêche d'adhérer totalement au modèle suédois, sans pour autant apprécier le parcours du combattant que représente parfois l'administration fiscale française ... et ce des deux côtés de la barrière.

Si j'évoque ces sujets, c'est parce que la fiscalité a une place privilégiée dans ce premier roman d'Asa Larsson. L'auteur a elle même travaillé à l'Office national des impôts, en Suède, et son héroïne Rebecka Martinsson est avocate fiscaliste.
Et il ne s'agit pas du seul élément autobiographique puisque l'histoire d'Horreur Boréale se déroule à Kiruna, dans le grand nord de la Suède, où ont grandi aussi bien l'auteure que son personnage principal.
Ecrit en 2001, il s'agit donc de la première apparition de Rebecka Martinson, à laquelle Asa Larsson a consacré cinq romans. Ma prochaine critique devrait être consacrée au dernier volet de ses enquêtes puisque Babelio et les éditions Albin Michel m'ont permis de recevoir En sacrifice à Moloch quelques semaines avant sa parution. Mais je souhaitais me familiariser auparavant avec les personnages récurrents, ayant souvent des difficultés à prendre des séries en cours.

Kiruna est vraiment un autre monde où règnent le froid, les croyances, les superstitions.
Un microcosme hivernal que Rebecka a été amenée à quitter bien des années auparavant dans des circonstances que vous découvrirez.
"- Que veux-tu, toi qui a fichu le camp quand les difficultés ont surgi ?"
Mais elle sera contrainte d'y retourner. Sanna, son amie d'enfance, est la principale suspecte du meurtre de son frère Viktor. Elle sollicitera Rebecka pour que celle-ci puisse prendre soin de ses deux enfants, mais aussi pour assurer sa défense.
"Je suis fiscaliste. Je ne m'occupe pas d'affaires criminelles."

On pourrait penser que mourir en contemplant une aurore boréale est idéal, mais l'assassinat de Viktor Strandgard n'a en réalité rien eu de paisible ni de magnifique puisqu'il a été énucléé, eviscéré, et que ses mains ont été tranchées.
Qui a bien pu commettre un crime si odieux, alors qu'il était aimé de tous ?
"Irréprochable. Tout le monde l'adorait."
Il s'agit de sa seconde mort. La première, à dix-sept ans, n'avait pas été définitive. Quand Viktor s'est rétabli, il a voulu insuffler un élan religieux à Kiruna. Il incarnait un miracle divin pour les habitants. Il a donc été à l'origine de l'unification des églises libres ( l'église de cristal va rassembler Mission, église baptiste, église pentecôtiste ) et de l'épidémie de foi qui s'en est suivie.
"Après son accident, il s'est tout entier consacré à Dieu."
"L'ampleur du regain de ferveur à Kiruna est considérable."

Le roman baigne donc dans une atmosphère religieuse, et même prédicatrice. Même les chapitres correspondent au sept jours de la création. La majorité des personnages sont très croyants, ou se font passer pour tels. le meurtre a également une dimension religieuse puisqu'il a été commis dans une église et qu'il pourrait correspondre au passage de l'Exode qui évoque la loi du talion.
"- le meurtre de ton frère possède un caractère, comment dire, religieux, n'est-ce pas ? Rituel, en un certain sens."

Tout ce qui a trait aux religions a souvent tendance à me hérisser le poil, mais ici avec les prêches nous sommes bien au-delà. Dans ce roman Dieu représente les miracles, et donc la plus grande crédulité des croyants. Dieu devient un instrument de profit abusant des pires superstitions.
"Ce n'est pas la volonté de Dieu que tes tourments persistent. Dieu a l'intention de mettre un terme à tes douleurs. Tu n'auras plus besoin de médicaments."
L'aspect mystique confine donc à la folie, et à nouveau probablement par barrière culturelle, j'ai eu beaucoup de mal à croire à cette ferveur et à cette naïveté générale de masse.
Même si j'ai en revanche apprécié l'opposition entre une église trop riche et des paroissiens plongés dans la misère.

Croyante, mais beaucoup plus mesurée, Rebecka Martinsson est un personnage attachant. Son retour à Kiruna fait énormément de remous : Elle n'est d'autant plus la bienvenue sur sa terre natale qu'elle va y remuer de vieux souvenirs et proférer quelques accusations.
"C'est une ennemie de l'Eglise et de l'oeuvre de Dieu dans cette ville."
Fragile au premier abord, maigre, obsédée par le travail, Rebecka s'avère être un personnage complexe et beaucoup plus fort qu'il n'y paraît. C'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai découvert son passé par le biais de nombreux flash-back, son tempérament, ses relations complexes. Et je suis ravi de pouvoir la retrouver prochainement.
D'autres personnages valent le détour : Sanna l'amie d'enfance, Mans son patron aussi menaçant que profondément attaché à sa salariée, Anna-Marie la policière enceinte qui apporte un léger humour avec ses envies d'uriner lors de chaque interrogatoire. J'espère les retrouver également.
Mais des personnages, il y en a trop. Les hommes d'église et leur famille, la famille de Sanna, les collègues de Rebecka, différents habitants de Kiruna, les enquêteurs, le légiste, le magistrat ... Et étant donné leurs noms inhabituels ( Sven-Erik, Gunnar, Vesa ... ), si comme moi vous êtes peu familiarisé avec la littérature scandinave, il y a souvent un temps d'arrêt pour se rappeler qui est qui.

Et c'est lent. Alors certes c'est réussi au niveau ambiance glaciale et pesante mais il faut avouer qu'il ne se passe pas grand chose, qu'il n'y a pas de réelle dynamique, que le meurtre était surtout prétexte à faire revenir Rebecka chez elle pour nous faire plonger en huis-clos dans ce petit coin de Suède et nous faire vivre toute la tension qui règne entre les habitants.

Mon ressenti est très mitigé au final. J'ai souhaité aller au bout, je suis toujours resté assez intrigué pour vouloir découvrir la suite des évènements. Ce livre présente des atouts dans son ambiance, dans le travail effectué sur les personnages qui deviendront probablement récurrents.
Mais je n'ai jamais réussi à m'immerger totalement dans cette Horreur boréale, la lecture est demeurée passive. L'enquête est morcelée entre les policiers et Rebecka, et stagne trop longtemps. La foi démesurée et les extraits bibliques m'ont souvent agacé. le nombre important de personnages fait perdre la continuité d'un récit rendu inutilement complexe.
Maintenant, j'espère pouvoir apprécier le dernier roman d'Asa Larsson à sa juste valeur après cette lecture en demi-teinte. Pour les trois tomes qui les séparent, je pense en revanche que ça sera sans moi.
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