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Citations sur Une sombre affaire (6)

Ne t’arrête pas, dit-il à cette chose. Cette chaleur moelleuse, dure, compacte, irrégulière, il vit comme des montagnes dans sa tête et comme des ravins abrupts et à la fin comme un petit coussinet, des pentes irrégulières, rugueuses, douces, plus dures, cette chaleur continuait à se mouvoir au-dessus de lui (de son sexe) et il voyait la vague – les vagues – qui enflait, grossissait, durcissait, le souffle lui manquait, elle revenait avec trop de puissance, se dissolvait, il ne pouvait pas ouvrir les yeux et ensuite, un autre coup, un mouvement plus rapide, plus rapides, sur lui, la vague enfla encore et soudain s’immobilisa, très haute, terrible, puis s’abattit et engloutit tout le rivage.
 
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Ils avaient fait l’amour. Je ne te mérite pas, disait Carla – elle le regardait et il était si rassurant, sans rien de perturbant –, mais Carla ne savait pas qu’elle était aussi très belle, si menue, tendre, sans défense, c’était l’impression qu’elle donnait dès qu’on la regardait.
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"Ce sont des gens dangereux, louches, reprit Manuel, c’est toi qui me l’as dit, ils ne comprennent que la violence. Pour ces gens-là, que leur père soit debout ou sous terre, ils s’en foutent. Ils restent des amis tant qu’ils ne deviennent pas des ennemis.”
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Elle prit son téléphone portable. “Allô Manuel, dit-elle. Manuel, allô, c’est moi. J’ai peur, Manuel.
— Pourquoi ? demanda Manuel d’une voix qui lui fit de la peine : avant de la rencontrer, Manuel n’avait jamais eu une voix comme celle-là.
— J’ai peur, Manuel, il y a quelqu’un, répéta-t-elle, collée au téléphone. Je t’en prie, j’ai trop peur.
— Calme-toi, dis-moi où tu es.
— Sur le palier. – Silence. – Qu’est-ce que je dois faire ? Je t’en prie Manuel, souffla-t-elle, dis-moi ce que je dois faire.
— Et Mara, demanda Manuel, et il soupira, où est Mara ?
— Ici avec moi, chuchota-t-elle en haletant dans le téléphone. Manuel ?
— Oui.
— J’ai peur, Manuel.
— Quittez les lieux tout de suite… prenez un taxi, on se voit au bar près du Castel Sant’Angelo, tu vois où c’est ? dit Manuel.
Ils arrivèrent au bar en même temps, elle descendit du taxi, les jambes lourdes, en nage, serrant son sac à main, Mara, sa fille, endormie dans ses bras. Il gara sa moto. Désormais il faisait nuit, les voitures filaient, rapides, longeant le Tibre, on voyait la masse du Castel Sant’Angelo illuminé mais c’était la nuit, on était en août, il faisait trop chaud, on pouvait à peine respirer et il y avait un air de défaite. “Qui ça pouvait être ?”, elle ne lui laissa même pas le temps d’enlever son casque et se jeta sur lui, lâcha son sac et l’obligea à l’enlacer, referma les bras de Manuel autour de son corps, autour d’elle qui tenait Mara dans ses bras. Puis elle se détacha de lui et lui serra si fort le poignet que Manuel n’arrivait pas à enlever la jugulaire de son casque. “Attends”, dit-il. Elle poursuivit : “Qu’est-ce que je dois faire Manuel ?” Alors elle lâcha prise.
Manuel parvint enfin à défaire son casque qu’il enferma dans le coffre de rangement ; sous le casque, la chaleur lui avait collé les cheveux sur le front, les tempes, la nuque. Il s’épongea, ramassa le sac tombé par terre et le glissa sous son bras, puis il prit l’enfant et la serra contre lui, vu comme ça il était bizarre, un homme en chemise foncée et en pantalon bleu marine avec une petite fille endormie, la tête sur son épaule, et un sac de femme qui se balançait contre sa jambe. Il posa son bras libre autour des épaules de la femme, l’accompagna jusqu’au bar ouvert toute la nuit, le col de sa chemise le serrait trop, on étouffait, il lui ouvrit la porte et la fit entrer. “Viens mon trésor, on parlera à l’intérieur, allez, entre”, dit-il, tout en regardant derrière lui. Ils s’assirent à une table, Manuel posa le sac sur la surface métallique qui réfractait les lumières au néon du bar, puis il installa délicatement la petite fille sur un banc à côté d’eux, le plus confortablement possible. Il prit ensuite les mains de Carla et la regarda. “Je suis vraiment navré, dit-il à voix haute, mais à mon avis c’est à cause de Vito, ou plutôt ce n’est pas mon avis, c’est sûrement à cause de lui.”

C’était toujours à cause de lui, dans tous les domaines, depuis que Carla avait dix ans, maintenant elle en avait trente-huit et depuis des années elle avait l’impression d’en avoir soixante-dix, et elle soupira. Ils restèrent assis à la table du bar devant le quai du Tibre, on était en août 2012, un août dans la norme, chaud, disaient les journaux télévisés (non, il était hors norme, disait Carla, on n’avait jamais vu une chaleur pareille, de quoi devenir fou), ils étaient à l’intérieur du bar et tout en parlant ils regardaient de temps à autre à travers la baie vitrée, des regards furtifs et continuels, cette nuit-là il y avait une étrange poussière dans Rome, comme celle qu’apporte le sirocco, elle montait au-dessus du quai et tourbillonnait à chaque voiture qui passait, elle était claire, illuminée par les réverbères contre le noir de la nuit, les bus la déplaçaient, épaisse et sableuse, puis la fendaient et passaient au travers, les voitures y disparaissaient puis réapparaissaient, les scooters la prenaient de plein fouet, elle devenait beige sable à chaque passage. Il faisait trop chaud et c’était la nuit mais de temps à autre passaient des voitures, des bus, des scooters, des gens. Et pourtant, par chance, derrière la baie vitrée, devant le bar et même dans les environs, du moins pour ce qu’ils pouvaient voir de là, tous les deux, du moins jusqu’à ce moment-là, par chance, on ne voyait personne posté là, à l’extérieur.

“Et le problème n’est pas seulement Vito, je suis désolé de te le dire”, fit Manuel ; la sonnerie du téléphone éclata dans sa poche, son cœur aussi éclata, il prit l’appareil. Carla le regardait, elle était grise, il regarda le téléphone. “Sois tranquille, ce n’est rien, il regarda le barman à la dérobée, une brûlure en relief lui barrait la joue, Manuel rangea le téléphone. Le problème n’est pas seulement Vito, reprit-il, mais aussi sa famille, et pas seulement sa famille, mais aussi les amis de son père.” Carla leva les mains en signe de reddition, puis les serra autour de la tasse de camomille qu’il lui avait commandée malgré la chaleur. La camomille fumait et la vapeur montait, longue et claire. “Mais puisque son père, le Général, dit-elle, ne quitte plus son lit depuis cinq ans. Je t’en prie, Manuel, toi aussi, ce n’est pas possible. – Mais qu’est-ce que tu racontes, Carla, qu’il quitte son lit ou qu’il ne le quitte pas, ça n’a rien à voir.” Dans son sommeil, Mara soupira. Carla aussi jeta un coup d’œil en direction du barman, et quand celui-ci se tourna pour la regarder, elle regarda ailleurs aussitôt. “Ce sont des gens dangereux, louches, reprit Manuel, c’est toi qui me l’as dit, ils ne comprennent que la violence. Pour ces gens-là, que leur père soit debout ou sous terre, ils s’en foutent. Ils restent des amis tant qu’ils ne deviennent pas des ennemis.” Carla écoutait, et pourtant, à voir sa tête, on aurait dit qu’elle entendait ces choses pour la première fois. “Mais c’est impossible, protesta-t-elle, depuis des semaines, Vito se conduit bien, on l’a dit plus d’une fois, non ? il a arrêté, c’est fini. Écoute-moi, Manuel, il y a autre chose, il y a un problème.” Manuel se passa une main sur le visage, ses yeux étaient tout petits et au-dessous il y avait deux poches, gonflées comme si elles contenaient de l’eau. “Mais Carla, mon trésor, c’est toi qui me l’as dit, s’excusa-t-il en secouant la tête. Vito, sa famille, l’armada de ses amis. Avec eux, on n’en a jamais fini.”
Et combien de fois Vito le lui avait-il dit : Je te le jure, Carla, je te tuerai, je t’égorgerai comme un cochon, et je tuerai aussi nos enfants.
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J’ai toujours été un excellent mari, c’est ma femme qui exagère, les femmes exagèrent toujours, et nous on est là pour les faire raisonner. À partir de ce moment, Vito avait attendu que la justice l’oublie. Pourtant, divorce ou pas, il n’avait jamais cessé de venir la voir. Il y avait des jours, parfois plusieurs d’affilée, où il semblait s’être calmé, où la haine dont il était constitué semblait l’avoir aspiré, où il semblait, enfin, ne plus exister.
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Lorsqu’elle était petite, elle dessinait bien, plus grande elle voulait être peintre, ses parents étaient journalistes, ils étaient morts quelques années auparavant, qu’est-ce qui avait bien pu se passer pour qu’ils l’autorisent à épouser Vito, pourquoi ne l’avaient-ils pas arrachée aux griffes de ce monstre ? Quand elle était petite, les monstres n’existaient pas et n’auraient jamais pu exister.
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