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Critique de Apoapo


Voici, sur le thème des marques corporelles dans l'Occident contemporain, une étude sociologique assez classique, comportant cependant suffisamment d'idées originales et inattendues pour ne pas être conventionnelle ni scolaire. Comme son titre l'indique, l'angle d'analyse consiste dans le postulat que la modification volontaire du corps est un processus relevant de la construction, par l'individu, d'une identité, choisie en vue d'être affirmée au regard d'autrui.

L'introduction, « Le corps inachevé », ainsi que le ch. 1, « La fabrique de l'identité », dans leur manière de poser les notions, font preuve d'une approche plutôt philosophique.
Les deux chapitres suivant, par contre, sont caractérisés par une démarche historique. En particulier le ch. 2 : « Les marques corporelles […] : histoire d'un malentendu », montre que, depuis l'interdit des modifications du corps qui rassemble les monothéismes, jusqu'au-delà de la Seconde Guerre mondiale, les tatouages ont été soit des marques d'infamie soit des stigmates associés à des catégories socio-professionnelles reléguées : marins, soldats, prostituées, détenus, internés... Spécifiquement, les fameuses études criminologiques d'un Lombroso se sont délectées du « type » quasi biologique du/de la tatoué.e... le ch. 3, de façon pour moi très originale, s'attarde sur les quelques dernières décennies du XXe s. où les tatouages ont marqué des formes de dissidence liées aux mouvements hippy d'abord, puis punk, non sans relation avec deux autres univers artistiques : les arts graphiques avec les tags muraux et la musique avec les « looks » rattachés au rock, au heavy metal à la techno etc. : le ch. se termine par un premier aperçu de la mouvance des Modern Primitives. Ces deux chapitres tendent donc à insister sur le côté discriminant et stigmatisant des modifications corporelles de jadis, qui, et c'est là un point fort de la démonstration de l'auteur, les opposent résolument à celles d'aujourd'hui.
Le ch. 4, « L'identité à fleur de peau », est à la fois le plus long et le plus purement sociologique. Tous les moments et les implications des pratiques du tatouage, du piercing, des scarifications, etc. dans nos sociétés contemporaines sont analysés séparément, avec une profusion de citations tirées d'un corpus d'entretiens. Bien que certaines répétitions apparaissent, la proportion entre matériau brut et son interprétation m'a paru équilibrée. le ch. 5, « Événement ou avènement : la question des rites de passage » m'a semblé être un approfondissement d'un aspect spécifique du précédent : le traitement sociologique de la question des motivations est identique au ch. 4. Si l'évocation du terme de « rite de passage » aurait pu faire penser à une argumentation anthropologique ou au moins à une comparaison avec les sociétés traditionnelles où la notion a toute sa pertinence, ici, précisément, l'auteur s'empresse de nier que le tatouage occidental contemporain, en dépit de ses prétentions, soit un rite de passage : éventuellement un « rite personnel » de « prise de possession de soi » ; de ce fait, il s'exonère de tout exposé anthropologique ou comparatiste.
Le ch. 6, « Une culture naissante », renverse la perspective, des tatoués aux tatoueurs. Il traite, un peu rapidement, les questions relatives à l'évolution récente de la profession, y compris le profil sociologique de ceux qui l'exercent. Enfin le ch. 7, « Les marques corporelles et le nouveau débat du "primitivisme" » en revenant sur les Modern Primitives, concède un peu aux côtés philosophique et anthropologique appliqués à « l'engouement occidental pour les marques "tribales" », dans un discours très opportunément sans concession pour ce qui apparaît être ni plus ni moins qu'une forme de néocolonialisme qui va de pair, hélas, avec l'éradication des significations traditionnelles de simulacres devenus creux : en somme le sous-produit de ce qui eût pu être une hybridation des cultures...
Ce chapitre véhément m'a plu pour plusieurs raisons : on y trouve une plus grande distanciation du chercheur par rapport à son objet de recherche que dans d'autres chapitres – en particulier le 4 - ; un minimum d'anthropologie émerge enfin, même si elle n'est utilisée que « en négatif » (c-à-d. pour infirmer) ; les thèmes post- et néo-coloniaux me tiennent à coeur dans toutes leurs implications.

Mon envie est renforcée de lire d'autres essais de le Breton, qui, s'il se cite plusieurs fois (trop souvent, certains diront...), semble avoir créé un tracé original pour relier des thèmes assez différents : la marche, le corps, le silence, les conduites à risque des jeunes, le rapport entre douleur et souffrance, le visage...
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