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Critique de gabb


gabb
03 novembre 2017
Après la guerre, on pourrait croire que la vie redémarre, que la liesse générale relève la nation et cicatrise les plaies. On s'imagine que le bonheur retrouvé triomphe, que les villes libérées sont en fête.
Ce serait trop beau...

Après la guerre, on ne vit plus.
On ne sait plus faire, on a oublié.
On titube, on plie sous le poids d'une conscience trop lourde ou de fantômes trop nombreux. Après la guerre, on "règle de vieux comptes, on vide de vieilles querelles comme des abcès pourris, d'infâmes poubelles où croupissent des morts sans sépultures". Et puis bien sûr, après la guerre, on fonce tête baissée dans un nouveau conflit, parce que - peut-être - on ne sait plus faire que ça...

A Bordeaux, comme partout en France, la fin de la deuxième guerre mondiale et l'éclatement du conflit algérien marquent le début d'une nouvelle ère trouble, faite d'animosités et de rancoeurs à peine voilées. Anciens collabos, vrais maquisards et faux héros, gaullistes convaincus et pétainistes convertis, miraculés des camps et résistants de la dernière heure se côtoient dans un "remugle des temps maudits, comme si un type se mettait à remuer le fond du marigot avec une grande perche pour tout faire remonter".
Jean (le rescapé d'Auschwitz), son fils Daniel (bientôt appelé sous les drapeaux), et le commissaire Darlac (l'archétype même du flic ripou, violent et machiste), pataugent comme tant d'autres dans cette boue nauséabonde. Sombre histoire de vengeance, partie de cache-cache sanglante dans une ville incapable de tourner la page de l'Occupation, livrée aux proxénètes et aux truands. Même la police est gangrenée par les traîtres d'hier, drapés d'une virginité nouvelle, achetée in extremis et qui ne trompe personne.
Transformée en jungle interlope, Bordeaux et ses notables corrompus apparaissent donc ici sous leur jour le plus sombre... On serait tenté, bien sûr, de refermer précipitamment les yeux sur cette fresque affreusement sordide, coincée entre deux génocides, si elle n'était peinte (tout en noir) avec tant de brio ! Hervé le Corre excelle en effet dans l'art de décrire l'innommable, le glauque, l'abject.
Exactions, spoliations, délations : bienvenue en enfer !

Alors oui, c'est vrai, l'intrigue reste assez classique, le roman traîne parfois longueur, et les deux aventures parallèles tardent un peu à se rejoindre (le mano a mano bordelais entre Darlac et Jean d'un côté, et le calvaire algérien de Daniel de l'autre, auraient presque mérité un livre chacun). Cependant le style très imagé de l'auteur, ses descriptions fouillées et hyper-réalistes, l'argot savoureux des années 50, et le mélange crasseux de lâcheté, de cupidité, de sang, d'impunité, de racisme et d'antisémitisme qui nous saisit d'effroi sont autant d'éléments qui font de ce polar historique un roman à part.
Seuls quelques personnages féminins trouvent heureusement grâce aux yeux de l'auteur, et colorent un peu ce "crépuscule permanent dont la saloperie ordinaire des hommes s'est rendue maîtresse".

Réjouissant, n'est-il pas ?
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