AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de si-bemol


Nous sommes à Paris, en 1870. Un tueur en série - dont nous connaissons dès les premières pages l'identité et le mobile - s'inspire des “Chants de Maldoror” de son ami Isidore Ducasse (Comte de Lautréamont), dont l'oeuvre, à peine publiée, est alors quasiment inconnue, et sème sur son passage un cortège de crimes particulièrement atroces qui mettent la police sur les dents et la population en émoi. Et nous suivons pas à pas les efforts des enquêteurs, tandis que le meurtrier s'enfonce tranquillement dans sa folie et continue à répandre autour de lui des cadavres toujours plus sanglants et une terreur toujours plus profonde…

“L'homme aux lèvres de saphir” est un polar rondement mené, qui nous emporte dans ses filets et qu'on ne lâche plus. Mais c'est aussi - et peut-être surtout - le portrait d'une époque et d'une ville : bien loin des beaux quartiers, des plaisirs et des fêtes, c'est le Paris des gargotes, des bordels, des coupe-gorges et des ruelles obscures où tente de survivre au jour le jour une population besogneuse ou interlope d'artisans, d'ouvriers, de putains, d'artistes et de malfrats ; une ville de miséreux et de crèvent la faim, souvent “montés” de la province pour y chercher fortune, exploités jusqu'à plus soif et recrus de fatigue, placés sous la coupe d'une bourgeoisie triomphante et cynique, et d'une police omniprésente, brutale et corrompue.

Avec “L'homme aux lèvres de saphir”, Hervé le Corre dresse un portrait au vitriol du Paris de Napoléon III juste avant la guerre franco-prussienne, la chute du Second Empire et la Commune - là où précisément s'enracine toute l'oeuvre de Zola - avec en arrière-plan la présence lumineuse de Louise Michel et le peuple exsangue qui commence à gronder…

Avec une écriture remarquable, une restitution socio-historique saisissante, des personnages hauts en couleurs, criants de vérité, avec lesquels nous entrons en immédiate empathie, et une intrigue originale et bien construite, Hervé le Corre va, dans “L'homme aux lèvres de saphir”, bien au-delà du simple polar et nous offre, tout simplement, un excellent moment de littérature.

Un livre que j'ai beaucoup aimé, et que je recommande sans réserve !

[Récompensé en 2005 par le Grand Prix du Roman noir français au Festival de Cognac, et le Prix Mystère de la Critique.]

PETITE NOTE EXPLICATIVE POUR MIEUX COMPRENDRE LE ROMAN :

Le crime de la place Vendôme, qui ouvre le livre, est la retranscription par Hervé le Corre du meurtre commis par Maldoror sur la personne d'un adolescent, Mervyn, à la fin du 6ème des “Chants de Maldoror”. C'est également là que se trouve l'explication de l'énigme du crabe tourteau (que Le Corre n'élucide pas), tout comme le titre du roman, “l'homme aux lèvres de saphir” :
“Le Tout-Puissant avait envoyé sur la terre un de ses archanges, afin de sauver l'adolescent d'une mort certaine.(...) Pour ne pas être reconnu, l'archange avait pris la forme d'un crabe tourteau (...). L'homme aux lèvres de jaspe (...) épiait l'animal, un bâton à la main (...). Le crabe tourteau (...) aperçut notre héros (...) “O Maldoror, est-il enfin arrivé le jour où tes abominables instincts verront s'éteindre le flambeau d'injustifiable orgueil qui les conduit à l'éternelle damnation !” (...) Mais l'homme aux lèvres de saphir a calculé longtemps à l'avance un perfide coup. Son bâton (...) va frapper à la tête l'archange bienfaiteur (...). Et Maldoror, penché sur le sable des grèves, reçoit dans ses bras (...) le cadavre du crabe et le bâton homicide !”

P.S : Petite info, que je viens de découvrir : une suite ("Dans l'ombre du brasier") paraîtra le 2 janvier 2019...
Commenter  J’apprécie          507



Ont apprécié cette critique (47)voir plus




{* *}