AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,91

sur 340 notes
Mon premier Hervé le Corre et un énorme coup de coeur !

Quel souffle anime ce roman total qui embrasse tous les genres romanesques sans entrer dans aucune case !

- un polar : on suit la traque d'un tueur en série atypique qui commet d'atroces crimes en hommage à l'oeuvre de son ami, le poète Isidore Ducasse, Les Chants de Maldoror signés sous le nom du Comte de Lautréamont, dans laquelle il lit une prophétie des temps à venir. Cette idée assez géniale est parfaitement maitrisée, on retrouve même plusieurs fois Isidore Ducasse dans le roman, c'est même lui qui accélère la résolution de l'enquête.

- un roman noir : l'identité du sérial killer est rapidement dévoilé, pas de faux suspense, mais une plongée assez stupéfiante dans sa psycho délirante. Un peu comme si la créature avait échappé à son Frankenstein de créateur, belle métaphore de la puissance de la littérature.

- un roman historique : la toile de fond de ce roman est le Paris de 1870, à la veille de la chute du Second Empire de Napoléon III, dans une ambiance fin de règne où tout se délite et où tous les espoirs sont également possibles. On découvre un autre Paris, celui des faubourgs ouvriers, des bas-fonds. L'inspecteur Letamendia a du mal à supporter les priorités de sa hiérarchie obnubilée par la répression des émeutes ouvrières. Sur la fin du roman, on glisse vers la guerre contre les Prussiens et vers la naissance de la Commune.

- un roman social : la classe ouvrière est magnifiquement décrite, exploitée, réprimée, vivant dans la misère mais solidaire, avec de superbes personnages, d'Etienne l'ouvrier républicain plein de révolte à Sylvie, digne prostituée dans un bordel fréquenté par le tueur. Y a du Zola dans l'évocation de ces prolos, y a du Hugo dans la description des émeutes organisées par les syndicats et l'Internationale ouvrière.

Le tout porté par une superbe écriture à la fois travaillé et gouailleuse.

Dense, passionnant, très impressionnant !
Commenter  J’apprécie          8612
Nous sommes à Paris, en 1870. Un tueur en série - dont nous connaissons dès les premières pages l'identité et le mobile - s'inspire des “Chants de Maldoror” de son ami Isidore Ducasse (Comte de Lautréamont), dont l'oeuvre, à peine publiée, est alors quasiment inconnue, et sème sur son passage un cortège de crimes particulièrement atroces qui mettent la police sur les dents et la population en émoi. Et nous suivons pas à pas les efforts des enquêteurs, tandis que le meurtrier s'enfonce tranquillement dans sa folie et continue à répandre autour de lui des cadavres toujours plus sanglants et une terreur toujours plus profonde…

“L'homme aux lèvres de saphir” est un polar rondement mené, qui nous emporte dans ses filets et qu'on ne lâche plus. Mais c'est aussi - et peut-être surtout - le portrait d'une époque et d'une ville : bien loin des beaux quartiers, des plaisirs et des fêtes, c'est le Paris des gargotes, des bordels, des coupe-gorges et des ruelles obscures où tente de survivre au jour le jour une population besogneuse ou interlope d'artisans, d'ouvriers, de putains, d'artistes et de malfrats ; une ville de miséreux et de crèvent la faim, souvent “montés” de la province pour y chercher fortune, exploités jusqu'à plus soif et recrus de fatigue, placés sous la coupe d'une bourgeoisie triomphante et cynique, et d'une police omniprésente, brutale et corrompue.

Avec “L'homme aux lèvres de saphir”, Hervé le Corre dresse un portrait au vitriol du Paris de Napoléon III juste avant la guerre franco-prussienne, la chute du Second Empire et la Commune - là où précisément s'enracine toute l'oeuvre de Zola - avec en arrière-plan la présence lumineuse de Louise Michel et le peuple exsangue qui commence à gronder…

Avec une écriture remarquable, une restitution socio-historique saisissante, des personnages hauts en couleurs, criants de vérité, avec lesquels nous entrons en immédiate empathie, et une intrigue originale et bien construite, Hervé le Corre va, dans “L'homme aux lèvres de saphir”, bien au-delà du simple polar et nous offre, tout simplement, un excellent moment de littérature.

Un livre que j'ai beaucoup aimé, et que je recommande sans réserve !

[Récompensé en 2005 par le Grand Prix du Roman noir français au Festival de Cognac, et le Prix Mystère de la Critique.]

PETITE NOTE EXPLICATIVE POUR MIEUX COMPRENDRE LE ROMAN :

Le crime de la place Vendôme, qui ouvre le livre, est la retranscription par Hervé le Corre du meurtre commis par Maldoror sur la personne d'un adolescent, Mervyn, à la fin du 6ème des “Chants de Maldoror”. C'est également là que se trouve l'explication de l'énigme du crabe tourteau (que Le Corre n'élucide pas), tout comme le titre du roman, “l'homme aux lèvres de saphir” :
“Le Tout-Puissant avait envoyé sur la terre un de ses archanges, afin de sauver l'adolescent d'une mort certaine.(...) Pour ne pas être reconnu, l'archange avait pris la forme d'un crabe tourteau (...). L'homme aux lèvres de jaspe (...) épiait l'animal, un bâton à la main (...). Le crabe tourteau (...) aperçut notre héros (...) “O Maldoror, est-il enfin arrivé le jour où tes abominables instincts verront s'éteindre le flambeau d'injustifiable orgueil qui les conduit à l'éternelle damnation !” (...) Mais l'homme aux lèvres de saphir a calculé longtemps à l'avance un perfide coup. Son bâton (...) va frapper à la tête l'archange bienfaiteur (...). Et Maldoror, penché sur le sable des grèves, reçoit dans ses bras (...) le cadavre du crabe et le bâton homicide !”

P.S : Petite info, que je viens de découvrir : une suite ("Dans l'ombre du brasier") paraîtra le 2 janvier 2019...
Commenter  J’apprécie          507
En voilà une idée !!!
Paris, hiver 1870...Gla gla gla, déjà, c'était avant le réchauffement climatique...Et le chauffage tout court, on dirait...Bref...
Etienne, un jeune ouvrier révolté (hommage à Zola ? ) arrive à Paris avec juste sa charrette et son barda (une table, notamment...)Et tout seul place Vendôme, voilà qu'il voit pendouiller les tripes à l'air, sur la colonne elle-même, bien scalpé, un jeune homme...Bienvenue à la capitale...Le meurtrier est encore sur les lieux, le darde d'un regard meurtrier, glacial, effrayant, et s'enfuit en oubliant son carnet de notes...Car le meurtrier est un poète...Etienne ramasse le carnet, le met dans le tiroir de sa table, et appelle la police...La police de l'empereur -car c'est encore l'empire pour quelques mois- est, je ne dirais pas incompétente, mais disons empêchée par le régime politique un peu trop autoritaire et corrompu et plus effrayé par les risques de soulèvement populaire que par les serial killers (dans la logique de son intérêt, l'empire me semble avoir raison ...)
C'est un roman policier extrêmement original et plus que ça, mais qui risque de ne pas plaire à certains lecteurs. D'abord on sait tout de suite qui est l'assassin et pourquoi il assassine : c'est un fan de Lautréamont, qui se prend pour Maldoror. Isidore Ducasse est présent dans le livre. de même que Verlaine (hommage), qui apparaît dans un bar au tournant d'une page...On guette Rimbaud, mais il était encore à Charleville à cette date...Moi, ce rassemblement de poètes maudits, ça me plaît...
Ensuite, Hervé le Corre utilise une langue très écrite, à la manière du XIXème siècle, et les dialogues correspondent à l'argot de l'époque, ce qui peut faire reculer. Bon, ça me plaît aussi.
Ce qui est excellent pour tout le monde, par contre, c'est la reconstitution de ce Paris de l'Empire qui va s'effondrer et qui l'ignore. le peuple de Paris gronde sourdement puis sauvagement : un siècle de révolution, et la Commune approche. On comprend qu'elle est possible. La pauvreté règne dans la Capitale. Dans certains passages, on se croirait au Moyen Age, niveau confort...La société est pourrie, elle doit impérativement se renouveler : privilèges, disproportion des richesses, prostitution et avilissement des femmes, corruption, mépris de classe...Autant de maux dont Maldoror et son incarnation fétide, Henri Pujols, ne sont que le reflet, le symptôme...
Un excellent roman, donc, à mon avis. Mais qui pourrait en rebuter certains. Donc à feuilleter d'abord...
Commenter  J’apprécie          422
Cela commence par une scène de crime magistralement écrite et tout le reste est du même tonneau. Il y a du souffle, de la noirceur, de la sueur, de la poésie, de la terreur, du romanesque dans ce roman noir, très noir, qui nous transporte - le mot est faible tant l'auteur réussit à nous immerger dans ce Paris aux prémices de la Commune - aux trousses d'un sérial killer, comme nous le nommerions aujourd'hui. Personnages extrêmement complexes, rythme, écriture, intrigue, tout est excellemment ciselé. Et quelle géniale idée de se servir du personnage d'Isidore Ducasse , dit Le Comte de Lautréamont, et de sa fin mystérieuse !!
Je recommande très très vivement ce livre. Et bonne nouvelle, on peut retrouver le personnage principal, Henri Pujols, dans l'autre excellent livre d'Hervé le Corre : Dans l'ombre du brasier.
Commenter  J’apprécie          410
Il y a plus d'anthracite que de saphir, dans ce roman d'un noir profond.
Un tueur joue de la lame, dans le Paris de 1870, zigouillant de façon abominable -mais au nom de la littérature- les malheureux qui croisent sa route. Heureusement, la police mène l'enquête.
J'ai adoré ce roman, malgré sa lecture éprouvante. Hervé le Corre décrit de façon étourdissante la vie sous le Second Empire, au sein de cette ville-monstre qui pulse, gonfle, palpite comme un corps enivré. On glisse des taudis aux bordels, en passant par les prisons et les cabarets survoltés. On se grise de bruits, d'odeurs, de lumières, d'alcools -et de sang. On se heurte à des flics crétins et bornés, on croise des poètes effrayés, on entraperçoit des catins fatiguées. On balance des pavés, on se fait tabasser, on inspire la terreur aux bourgeois. Surtout, on rencontre de belles âmes ouvrières qui rêvent de la Révolution à venir, et qui prennent le temps de savourer le pain de l'amitié au cours d'un déjeuner plein de soleil.
L'écriture de le Corre m'a subjuguée. Elle est gouailleuse, mouvante, vivante, au point de me faire penser aux peintures impressionnistes : en quelques mots comme autant de touches de pinceau, elle saisit l'instant présent et crée des éclats de lumière comme autant de lueurs d'espoir et d'humanité dans toute cette noirceur. Quel talent !
C'est un ouvrage à conseiller aux amateurs de polars durs, aux passionnés d'Histoire, et aux fans De Lautréamont. Mais attention à avoir le coeur bien accroché avant de le lire !
Commenter  J’apprécie          3113
Voici un roman noir historique qui a pour toile de fond le Paris de 1870. Nous sommes dans cette période très agitée à la fin du Second Empire, une fin de règne marquée par des mouvements sociaux de plus en plus forts et réprimés par la force et la violence du pouvoir en place.
Ce décor posé, Hervé le Corre va faire de cette histoire un véritable polar social, à mi-chemin entre le thriller et le roman populaire, prenant fait et cause pour la condition ouvrière de l'époque, faisant ainsi entrer en scène des personnages attachants, mûs par l'entraide et la débrouille, rêvant d'un monde meilleur : Étienne, Garance, Fernand et son épouse Marthe, Alphonse...
Mais venons-en à l'intrigue. Toute son originalité tient au personnage principal, ce serial killer, dont l'identité nous est dévoilée dès les premières pages, un certain Henri Pujols. D'entrée de jeu, l'auteur prend en effet le parti de nous dévoiler son identité et sa personnalité, de nous faire coller au plus près de sa déambulation et de son effroyable folie. C'est un jeu de fuite, de travestissements et de cache-cache auxquels nous livre Hervé le Corre, ce qui n'est pas sans rappeler un certain Hannibal Lecter, dont les points communs peuvent se mesurer au volume d'hémoglobine versé et au raffinement des crimes commis. Lecteurs sensibles, s'abstenir ! Bon, me direz-vous, où se situe donc l'originalité de ce serial killer dans tout ceci ? Dans la sauvagerie des meurtres qu'il commet, Hervé Pujols est animé d'une sorte de pulsion créatrice, se sentant persuadé que son destin est de servir le génie d'un poète injustement méconnu à ses yeux, Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont et de mettre en scène son oeuvre sulfureuse : les chants de Maldoror. Au début du roman, les deux hommes sont épris d'amitié, voire même plus. Sans dévoiler l'intrigue, il y a alors un tournant dans le roman qui n'est pas sans nous rappeler le mythe de Frankenstein où ici aussi le créateur se sent brusquement dépassé par l'effet de l'oeuvre qu'il a produite.
Et la police ? Mais que fait la police dans tout ça ? La police, au service d'un pouvoir qui perd pied, est corrompue. Parfois on se demande de quel côté se situe la racaille. Et cela ne sert pas l'enquête. Un flic atypique, donc intègre (je m'exprime bien sûr ici toujours dans le contexte historique !) l'inspecteur Létamendia tout droit venu de son pays basque natal, va à son tour entrer en scène...
Mais revenons au contexte qui fait côtoyer des personnages ordinaires avec la Grande Histoire, dans une fin de Second Empire à l'agonie. Telle une tragédie grecque, la trajectoire du meurtrier va lier d'une amitié indéfectible Étienne, Fernand, Alphonse et les autres et les propulser à la fois au coeur de l'intrigue et dans les agitations sociales qui seront réprimées de manière sanglante. Au loin, se profilent déjà les événements de la Commune de Paris. On aperçoit d'ailleurs brièvement Louise Michel au cours d'une réunion politique.
Il y a aussi la prostitution et ce beau personnage de Sylvie, alias Clarisse qui ne rêve que d'échapper à sa sordide condition afin de pouvoir élever dignement sa fille.
Sans être Zola, Hervé le Corre nous livre, dans ce roman foisonnant, le réalisme d'un contexte social peint avec beaucoup de détails. Il se trouve que, dans le même temps, par un hasard étrange (mais est-ce vraiment le hasard qui nous conduit dans le choix de nos lectures ?... Mais je m'égare...), je lisais en parallèle le premier volume de l'oeuvre des Rougon-Macquart, " La Fortune des Rougon ", dont le décor se situe, quant à lui, aux prémices de cette même période du Seconde Empire, non moins violente.
Alors, me demanderez-vous ? Vous avez donc aimé totalement ce roman ? Je dois avouer que j'ai été emporté par l'intrigue, les rebondissements, mais aussi par le réalisme social qui donne de l'épaisseur à ce roman volumineux (503 pages). Je reprocherai à l'auteur d'en faire parfois un peu trop à certains endroits. Certains personnages sont un peu trop caricaturaux : le flic pourri, la tenancière de bordel gouailleuse, le titi parisien,... le style peut paraître inégal quand certaines phrases deviennent excessivement lyriques, alors que deux pages auparavant nous étions plongés dans l'argot des parigots... Enfin, je ne sais ce qu'il faut penser lorsqu'un auteur s'arrange avec l'histoire de personnages qui ont réellement existé en les plongeant dans une oeuvre romanesque. Je pense bien sûr ici au Comte de Lautréamont et son improbable rencontre avec le serial killer... D'autres l'ont fait avant lui et c'est un procédé de style parfois osé. Je pense qu'il sent sort plutôt bien sur ce coup-là. Mais tout ceci est secondaire face à la singularité du roman et à sa richesse. Et je ne peux que saluer le travail très documenté...
Je ne vous ai pas dit la signification du titre... À vous de chercher...
Il s'agissait de mes premiers pas dans l'oeuvre d'Hervé le Corre et cela m'a donné envie de poursuivre en direction de cet auteur. Il m'a permis aussi d'écrire ici sur le site de Babelio ma première critique et j'espère que c'est un long chemin qui commence...
Commenter  J’apprécie          274

Voilà tout à fait le genre de roman que j'aime : une intrigue bien ficelée et une écriture qui plonge le lecteur dans une époque, ici l'année 1870.

Un homme, Henri Pujols, amoureux de Isidore Ducasse et de son oeuvre Les chants de Maldoror veut rendre hommage à son idole en recréant ses crimes dans la vie réelle. Les ouvriers et ouvrières ainsi que les prostituées qui le croisent n'en sortent pas indemnes. Car dans ce livre, il est surtout question du petit peuple, celui qui ne mange pas tous les jours à sa faim, qui vit souvent dans des taudis, se fait tirer dessus lorsqu'il revendique des droits comme au Creusot, par exemple, ou en ce 20 avril où il manifeste contre le sénatus-consulte, contre l'empereur Napoléon III en fait.
Il y a de beaux personnages tels Etienne venu de sa province après le décès de sa mère et à qui Fernand tend la main, X orpheline recueillie par un oncle qui la maltraite, Sylvie qui officie dans une maison close fréquentée par des hommes politiques, sous le nom de Clarisse et s'évade le samedi pour aller voir sa fille, et l'inspecteur Letamendia moins hostile aux ouvriers et prostituées que ses collègues et traque le tueur en essayant de réfléchir autrement…
Le Corre précise leur destin après cette funeste histoire si bien qu'on a l'impression qu'ils ont réellement existé. On croise aussi des noms célèbres tels celui de Louise Michel ou de Blanqui.

J'ai hâte de me plonger dans “A l'ombre du brasier” qui se passe en 1871 pendant la “semaine sanglante”. Puis dans “Après la guerre" dans le Bordeau des années 50.
Commenter  J’apprécie          210
Publié il y a de cela près de quinze ans, à une époque heureuse où les blogs littéraires n'existaient pas, L'Homme Aux Lèvres de Saphir bénéficie d'une nouvelle attention avec la parution de Dans L'Ombre du Brasier, dernier roman très attendu d'Hervé le Corre, devenu désormais l'une des grandes figures de la littérature noire française qui reprend quelques personnages du premier opus évoluant à Paris en 1870 durant l'époque trouble de l'effondrement du Second Empire marquant la fin du règne de Napoléon III. Si les deux ouvrages peuvent se lire indépendamment l'un de l'autre, L'Homme Aux Lèvres de Saphir se situe aux prémices de la période insurrectionnelle de la Commune alors que Dans L'Ombre du Brasier dépeint les événements de la Semaine sanglante qui marque l'achèvement de cette épopée révolutionnaire. C'est au coeur de cette atmosphère crépusculaire que l'on assiste aux exactions d'un étrange tueur qui trouve son inspiration dans Les Chants de Maldoror, un texte en prose terrifiant d'Isidore Ducasse plus connu sous le pseudonyme de Comte de Lautréamont.

A Paris en 1870, on trouve de bien étranges cadavres dans les rues de la capitale. Une série de crimes aussi terribles qu'absurdes présentant d'étranges similitudes avec ceux dépeint dans un texte sulfureux qu'un écrivain méconnu a publié à compte d'auteur et qui semble stimuler cet étrange meurtrier. Bien plus promptes à réprimer la canaille ouvrière qui se soulève, les forces de police paraissent complètement dépassées par ces crimes déconcertants d'autant plus que le tueur ne semble pas dénuer de raison lui permettant ainsi d'échapper aux inspecteurs de la sûreté qui le traque sans succès. Chargé de l'enquête, l'inspecteur Letamendia va parcourir les rues grouillantes d'une ville qui bruisse de fureur et de révolte réprimées dans le sang. Des bordels luxueux des grands boulevards aux ruelles crasseuses des quartiers populaires, l'assassin va bouleverser les destinées de tous ceux qu'il est amené à croiser dans sa quête sanglante qui rend hommage à celui qu'il considère comme le plus grand poète du XIXème siècle.

Avec Hervé le Corre, on pourrait parler d'écriture pendant des heures. le mot est précis, la phrase subtile et soignée pour composer une texte équilibré et saisissant de réalisme permettant ainsi au lecteur de s'immerger dans ce labyrinthe dantesque des rues de Paris durant la période du Second Empire avec cette sensation de fin de règne émanant d'un mouvement de fronde populaire qui prend racine au détour des cafés enfumés et des ruelles sombres des quartiers populaires. Pour restituer une telle atmosphère, l'auteur a su exploiter une documentation conséquente qu'il distille subtilement tout au long d'un récit qui parvient à saisir le contexte de l'époque sans jamais verser dans le verbiage historique pontifiant. Ainsi l'ouvrage se décline sur trois registres que sont la trame romanesque intégrant parfaitement la toile de fond historique mettant à son tour en évidence une dimension sociale sans fard d'un milieu ouvrier surexploité et opprimé.

L'Homme Aux Lèvres de Saphir emprunte donc son titre à un extrait du texte d'Isidore Ducasse, le Chant de Maldoror devenant la source d'inspiration d'un criminel d'un genre nouveau qui sévit dans les rues de Paris en éviscérant quelques victimes innocentes en fonction de ses envies et de son aspiration à illustrer la prose du texte qu'il revisite à sa manière. Centré autour du parcours de ce tueur que l'on identifie très rapidement, l'auteur met en scène une traque captivante qui nous permet de parcourir les lieux emblématiques de la capitale et de découvrir les différents protagonistes qui vont croiser sa route. le récit s'articule donc essentiellement autour d'un chassé-croisé entre le tueur Henri Pujol, l'inspecteur Letamendia, un enquêteur plein de ressource s'appuyant sur de nouvelles méthodes d'investigation, et Etienne Marlot, un jeune ouvrier qui vient de débarquer à Paris en manquant de se faire étriper par le meurtrier qu'il est en mesure d'identifier. Adoptant, au gré des chapitres, le point de vue de ces trois personnages, on assiste à ces rapports de force qui basculent parfois en fonction des événements qui s'enchaînent à un rythme palpitant coïncidant avec l'époque mouvementée dans laquelle ils évoluent. Ainsi les crimes perpétrés par Pujol, l'assassin solitaire, prennent une autre résonance lorsque l'auteur dépeint ces insurgés qui se font massacrer sur les barricades qu'ils ont érigées pour faire face aux forces de l'ordre. Une époque sanglante propice aux tueries massives ou solitaires. Mais la représentation ne serait pas complète s'il n'y avait pas ces portraits de femmes magnifiques qui traversent le récit à l'instar de Garance, cette jeune ouvrière révoltée accompagnant Etienne tout au long de son périple ou de Sylvie, cette prostituée courageuse qui nous invite dans les arcanes feutrées des bordels de Paris et qui va apporter son aide à l'inspecteur Letamendia, ceci au péril de sa vie. Loin d'être des faire-valoir, ces femmes de condition modeste apportent un éclairage édifiant sur leurs conditions effroyables dans un monde où l'inégalité devient une norme sociétale qui ne laisse place à aucune forme d'espoir comme on le constatera d'ailleurs au terme d'un récit sans concession.

Récit d'aventure combinant la dérive sanglante d'un tueur, aux terribles événements qui ont jalonné la période mouvementée de la fin du Second Empire, L'Homme Aux Lèvres de Saphir est un roman ample et somptueux donnant, à n'en pas douter, ses lettres de noblesse au roman populaire comme son auteur n'a d'ailleurs jamais cessé de le démontrer au gré d'ouvrages tels que du Sable Dans La Bouche, Prendre Les Chiens Pour Des Loups ou Après La Guerre et bien d'autres qu'il faut découvrir impérativement. A lire ou à relire.

Hervé le Corre : L'Homme Aux Lèvres de Saphir. Editions Rivages/Noir 2004.

A Lire en écoutant : Est-ce ainsi que les hommes vivent ? interprété par Léo Ferré. Album : Les chansons d'Aragon. Barclay 1961.
Lien : http://monromannoiretbienser..
Commenter  J’apprécie          200
Âmes sensibles, accrochez-vous, mais le roman en vaut la peine …
Voici le préquel du dernier livre d'Hervé le Corre «Dans l'ombre du brasier» qui m'a fait découvrir récemment cet auteur majeur de polars noirs.
Henri Pujol, le géant à l'accent rocailleux de Toulouse, en est le principal personnage et fait le lien entre deux épisodes qui se situent à la toute fin du Second Empire, quelques mois avant le vote du dernier sénatus-consulte de mai 1870 qui consacre la transformation libérale et parlementaire du régime à bout de souffle de Napoléon III.
Un vieux monde en déliquescence, où les Messieurs très "comme il faut" vont finir leur soirée au bordel, les artisans et ouvriers épuisés s'affaler au comptoir de bistrots enfumés, où les argousins s'infiltrent dans les tavernes pour démasquer les adeptes de l'Internationale … il faut dire qu'à part les informations fournies par les indicateurs, la police n'a pas beaucoup d'outils fiables pour traquer les assassins.
Dans ce Paris des Impressionnistes et de Zola, un éventreur est à la manoeuvre. Il tranche ses victimes de bas en haut, des jeunes hommes à l'ample chevelure blonde, les ouvrant du pubis au sternum, puis les scalpe et leur glisse au fond de la gorge un petit crabe mou ... Il met en scène de façon spectaculaire ces crimes atroces qui correspondent à l'oeuvre d'un jeune poète inconnu dont il est éperdu d'amour et d'admiration : un certain Isidore Ducasse, rencontré à Bordeaux, et qui n'a pas encore publié son premier recueil de poèmes surréalistes et sanglants : Les chants de Maldoror.
Pour le Chef de la Sureté, cette série de meurtres effrayants commence à poser problème. Il compte sur la sagacité d'un jeune inspecteur plutôt moins corrompu que la plupart des argousins, François Latamendia. Et sur l'honnêteté d'Etienne, un jeune ouvrier tourangeau monté à Paris qui a aperçu l'effrayant criminel.
Dans un style étincelant, une langue imagée, avec la description haletante de luttes farouches, les décors fangeux des caniveaux glissants des bas-fonds, à travers le parfum suave mêlé de sueur du salon de la maison close, Hervé le Corre ne cache pas son inclination pour la lutte sans pitié que se livrent les nantis et les exploités qui vont très bientôt se soulever dans l'épisode sanglant de la Commune.
C'est un combat qui, pour les survivants, débouchera sur l'institution de la République … mais pas vraiment sur l'allègement de la situation des travailleurs. Mais l'espoir fait vivre !
Une remarque : je n'ai pas bien compris la signification du titre ... mais quelque chose m'a peut-être échappé.
Lien : http://www.bigmammy.fr/archi..
Commenter  J’apprécie          191
Ce roman nous plonge à Paris en 1870, le Paris de l'Assommoir de Zola, pas celui des nouveaux quartiers reconstruits par Haussmann. Un Paris sombre, ouvrier, violent, où règnent l'alcool, la prostitution, les biffins et où on on évite une police plus maltraitante et corrompue qu'autre chose.
Ajoutez à cela un tueur aux goûts littéraires malsains, qui commet des crimes sauvages, voilà le point de départ.
Ce livre d'Hervé le Corre est pesant, violent, mais animé d'un souffle formidable, la puissance du récit est impressionnante. le Paris ouvrier et celui des bas-fonds est magnifiquement campé et même si des scènes et des descriptions terribles se succèdent, on voit aussi comment certains ouvriers parisiens s'organisent et décident de résister. Il reste toujours quelque part une petite note qui refuse de se taire, histoire de ne pas désespérer complètement.
A lire, si toutefois les scènes violentes ne vous rebutent pas trop, car elles sont nombreuses...
Commenter  J’apprécie          188





Lecteurs (727) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (6 - polars et thrillers )

Roger-Jon Ellory : " **** le silence"

seul
profond
terrible
intense

20 questions
2875 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , thriller , romans policiers et polarsCréer un quiz sur ce livre

{* *}