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Critique de gruz


Notre Maison brûle, la couverture ne ment pas.

Hervé le Corre est l'une des grandes figures du roman noir francophone. Qu'il décide de se frotter à l'anticipation pourrait surprendre, mais qu'y a-t-il de plus noir que l'avenir ? Qui après nous vivrez évoque notre futur, proche et plus lointain, à la manière de cette littérature de genre qui dessine les maladies de notre société.

« J'étais là quand tout a commencé à finir ». Une phrase prononcée par l'un des personnages. Elle pourrait être mienne, pourrait être vôtre. A force de parler du point de bascule sans que rien ne soit réellement fait pour l'éviter, plutôt tôt que tard il adviendra.

« Elle avait lu qu'au début du siècle dernier les humains avaient commencé à apercevoir le danger mortel qui les menaçait, mais les puissants et les riches avaient choisi d'ignorer les alarmes et continué de jouir de leur domination comme un soudard cannibale se serait exaspéré dans un corps éreinté tout en le dévorant vivant ».

Ce roman marque, frappe. Dur. C'est un peu le livre des illusions perdues. Qui raconte des pans de vies de personnages du quotidien, en survivance.

Plusieurs choses marquent rapidement à cette lecture. La noirceur crépusculaire. La construction audacieuse. L'écriture puissante au possible.

L'auteur fait appel à l'intelligence du lecteur, à sa capacité à comprendre et à ressentir. Jamais il ne lui facilite la tâche, à lui de trouver le chemin à travers les méandres d'une temporalité déconstruite.

Le Corre présente une lignée de femmes, sur plusieurs générations, en alternance, sans expliquer plus avant. Une vraie attention est de mise pour ce texte, pour bien le sentir, bien l'appréhender, et surtout profiter de l'exceptionnelle qualité d'écriture. Cette plume magnifique, sans doute la seule pointe de beauté du récit.

A parler de la crise, des crises, de nos sociétés capitalistes dans ses précédents romans, il y a une certaine logique à montrer ce qu'il adviendra bientôt si rien ne change. L'écrivain ne se place pas en tant que moralisateur, mais raconte au plus proche des personnages.

Des protagonistes qui n'ont que le présent à vivre, à des périodes de l'avenir, version post-apocalyptique, où les notions de passé et de futur n'ont plus aucun sens.

« le temps était un pont de corde et de bois aux planches pourries s'effondrant derrière elles, jeté entre un bord du vide et une falaise noyée dans le brouillard ». Une phrase caractéristique de ce texte, dans la forme comme dans le fond. Écriture sublime, ténébreux propos.

Plusieurs périodes, entre celle d'une cité qui s'effondre, et celle d'une sorte rural noir se déroulant d'ici un siècle. Une atmosphère qui se prête totalement à ce genre de roman noir, proche de la nature. Par obligation, dans un monde de régression.

Un nouvel âge d'obscurantisme et de violence, où l'instinct de survie et le combat sont le quotidien. Une sorte de chemin généalogique à travers les âges et la désolation. Sur une terre qui crèvera bien après les hommes.

« La planète tournait sur son axe comme une volaille desséchée empalée sur sa broche, mue par un increvable moteur ».

Le roman n'est en rien un pamphlet, l'auteur raconte des personnages, avec éloquence mais sans surjouer, sans édulcorer ces existences qui se résument à tenir, juste tenir.

Après un temps d'adaptation, le roman se révèle dense et de plus en plus poignant au fil de ces destins qui prennent forme au fil des pages.

L'écrivain balaye tout ; noirceur abyssale perlée de quelques moments de répit ; la violence prenant le pas sur les bribes d'humanité, renvoyant dos à dos les religions. Jusqu'à rayer le mot espoir ?

Ce qui est dit concerne autant notre futur que celui des prochaines générations. Enfanter a-t-il encore un sens ? Vivre à travers ses enfants est au centre.

Qui après nous vivrez, dans une violence sans fin, héros du quotidien et instinct de conservation. Hervé le Corre, si noir, si juste, humainement déchirant. Un texte d'une puissance narrative qui laisse de profondes traces. Sublimé par ce talent, terriblement évocateur, qui a trouvé là le terrain pour aller encore plus loin dans sa vision du monde. Effrayant mais remarquable.
Lien : https://gruznamur.com/2024/0..
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