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Critique de katell


Anne Gautier est une jeune thésarde en Histoire, elle vit en Bretagne et vient de mettre fin à sa relation amoureuse avec Guillaume. Son histoire sentimentale n'a pas résisté au dernier deuil auquel elle a du faire face, celui de son père qui fait qu'elle se retrouve seule, épouvantablement seule et sombre dans une profonde dépression.

Bien entendu, elle a quelques amis perdus de vue ou qu'elle voit occasionnellement comme son amie Manon en plein préparatifs de mariage avec son fiancé Nicolas, médecin de son état.

Elle se réfugie à Lanmorgan, hameau où elle possède une maison familiale, celle de ses vacances en centre Bretagne.

La campagne, c'est bien mais qu'y faire quand on a été habituée aux succès universitaires ? En ce début 2020, Anne s'inscrit à la chorale et au club de généalogie, c'est qu'elle adore chanter et est une férue de recherche généalogique, elle est parvenue à remonter son arbre jusqu'à la sixième génération. Anne se rappelle aussi que son père jardinait, était en phase avec la terre et ses éléments. Un peu d'exercice physique, utile, serait bienvenu. Anne compulse catalogues et conseils en ligne, nettoie le terrain dont elle compte faire son jardin, rafistole la serre, le tout sous le regard, goguenard ou du moins sceptique des gens du coin et des nouveaux venus. Elle s'en fiche et continue ce qu'elle a à faire.

Elle recueille un chat noir, Lechat, qui lui tient compagnie et lui sert d'auditoire captif lors de ses conférences solitaires ou la lecture des derniers passages de son roman. Anne a décidé d'écrire un roman, maintenant qu'elle a le temps.

Les semaines, les mois passent, des liens se tissent avec les gens de la chorale ou de la généalogie puis vient l'information inquiétante : le COVID-19 commence à tuer si bien que le gouvernement décide un confinement général de deux semaines à partir du 16 mars.

La solitude reprend son cours, entrecoupées de la sortie hebdomadaire au supermarché voisin pour l'approvisionnement. Lechat écoute Anne, l'accompagne dans son quotidien. Un soir, elle a l'étrange impression de voir par la fenêtre passer son père. Comment est-ce possible ? La solitude et la dépression lui font-elles avoir des hallucinations ? Quelques jours plus tard alors qu'elle décide de tondre sa pelouse, Lechat tombe en arrêt devant le talus et débusque un os humain. de quelle manière est-il parvenu là, enfoui depuis la dernière guerre ? Anne s'avance et le touche. L'effet produit est dantesque, perte de connaissance puis réveil, abasourdie : les lieux sont familiers mais ils ne ressemblent plus à ce qu'elle connaît. Où a-t-elle débarqué ? Des hommes viennent vers elle pour la conduire auprès de la Dame. Anne ne sait plus où elle se trouve ni quand.

On suit, au fil des pages, l'aventure d'Anne et on comprend rapidement qu'elle a fait un bond dans le futur. Elle apprend qu'il y a eu La Catastrophe, une pandémie anéantissant près de 90% de la population mondiale. La Dame lui explique combien il a été difficile de relever les nombreux défis pour réussir à survivre. Il y a eu le Pacte, une vision malthusienne pour gérer la population, les routes n'existent quasiment plus, les villages également, il n'y a que des îlots plus ou moins importants dirigés par des Dames. La nouvelle société issue de l'après Catastrophe est matriarcale, les hommes ne savent ni lire ni écrire, contrairement aux femmes, ils n'ont accès à aucune source écrite.

Le Pacte, la Prophétie ( dans douze fois douze fois douze mois) du retour de la première Dame, le Pré sacré sur lequel se situe le Sanctuaire, sont les enjeux autour desquels se joue l'avenir de cette société du futur où la nature a repris ses droits en raison de la faible population humaine. Anne se retrouve confrontée à une réalité qu'elle a du mal à envisager mais qu'elle comprend à mesure que la Dame de Sirène, en brillante pédagogue usant avec art de la maïeutique, lui explique les mécanismes subtils régissant ces îlots de populations. Au fil de son séjour, Anne apprend à être économe en mots et une observatrice sagace, apprend à saisir l'importance du savoir recueilli dans des livres et apprend à oublier sa détresse amoureuse sous le regard de François, le fils de la Dame de Sirène. Elle apprend également de cette dernière, l'utilité de la manipulation. La dite Dame en est une experte : un regard, un peu maquignon, sur les hanches d'Anne, le rapprochement qu'elle suscite entre les deux jeunes gens dont elle a saisi l'attirance qu'ils ont l'un pour l'autre.

« Les ours de la forêt bretonne » invite le lecteur à appréhender un des possibles avenirs de l'homme si l'urgence climatique n'est pas prise en compte. Clémence le Goff, en mettant en scène ce qui pourrait advenir en Bretagne, apporte sa pierre à la réflexion d'aujourd'hui. Puisque le patriarcat a conduit à la Catastrophe, puisque l'augmentation galopante des populations a conduit à la destruction des écosystèmes, des sociétés traditionnelles, des ressources naturelles au nom du « toujours plus » pour une minorité, un matriarcat pourrait être une éventuelle solution.

L'autrice met son héroïne dans des situations souvent difficiles et peu à son avantage, parfois cocasses ou frôlant le burlesque, elle lui en fait voir de toutes les couleurs pour qu'elle retire la substantifique moëlle de ses apprentissages. Anne constate que le Pacte c'est bien mais qu'il est fragile à partir du moment où quelques individus désirent plus que le nécessaire. Qu'on l'oublie pour satisfaire des désirs de domination et l'humanité peut rapidement retomber dans les travers qui l'ont amenée à sa perte. le matriarcat des Dames et des Mères (les guérisseuses-médecins-infirmières) est une réponse apportée à l'après d'une catastrophe humanitaire.

« Les ours de la forêt bretonne » est un roman de science-fiction sans « effets spéciaux », sans monstres, sans robots, qui donne la part belle à l'imagination humaine et surtout à l'importance du collationnement des manuels pratiques édités à l'attention des ménagères d'avant l'électricité et l'eau courante, des manuels pour « construire des fours solaires, l'élevage des lapins, des volailles, l'apiculture, la poterie, la vannerie, le rouissage du chanvre et du lin, le filage et le tissage de la laine, le mordançage, la culture des plantes médicinales, la meunerie. » Tout ce qui se perd à l'heure d'internet, de la télévision et des réseaux sociaux, éloignant chaque jour davantage les hommes de la nature.

J'ai quitté Anne, la Dame, François, Louis, Sirène, Nain, Camp et Lointain avec l'envie s'en savoir plus sur eux et sur ce fameux Renouveau dont il est question lors du séjour de l'héroïne dans le futur de sa descendance. Avec des mots choisis pour leur justesse, Clémence le Goff a su créer des ambiances, des paysages et des personnages auxquels je me suis attachée ou qui m'ont agacée par leur fatuité ou leur tendance à ne pas voir plus loin que le bout de leur nez. Dans un style léché sans circonvolution inutile, l'autrice fait vivre ses héros avec tendresse et sans aménité, elle les secoue quand c'est nécessaire.

Les deux tomes se lisent presque d'une traite tant l'histoire est prenante, émouvante et intéressante.
Lien : https://chatperlitpopette.wo..
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