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Critique de Sio


Sio
14 janvier 2012
Dans l'Enéide, Virgile ne la cite qu'une fois. Jamais il ne lui donne la parole.

Lavinia, c'est l'histoire de cette princesse latine qu'Enée épouse en dernières noces; c'est sa voix qui nous conte cette histoire. Car telle une conteuse, elle déroule le fil de l'histoire, son histoire, qui est aussi celle du Latium.

Réparant l'oubli de Virgile, Ursula K. le Guin nous brosse l'époustouflante fresque qui n'est qu'évoquée dans l'Enéide. L'histoire en elle-même est captivante, et extrêmement documentée; pas seulement parce que des cartes du Latium sont disponibles, mais parce qu'on sent que toutes les questions ayant trait aux rites, aux conflits, ou à la vie domestique ont été méthodiquement examinées. Mais il ne s'agit pas cependant d'un reportage; s'il y a foule de détails, ils servent surtout à élaborer un univers fouillé, et des personnages bien campés.

Le récit est doublé d'un second niveau: celui de la réflexion sur l'écriture. Car dès les premières pages, Lavinia nous place face à cette constatation insondable : "Je suis certaine qu'une femme portant mon nom, Lavinia, a bien existé, mais elle a sans doute été si différente de l'idée que j'ai de moi, ou de l'idée que mon poète a de moi, que penser à elle ne réussit qu'à me perturber. A ce que j'en sais, c'est mon poète qui m'a rendue réelle."

Consciente d'avoir été injustement oubliée par un Virgile mourant, Lavinia nous conte elle-même les événements qui ont constitué sa vie, s'affranchissant au fur et à mesure de l'influence du poète. Tant et si bien qu'on ne sait plus trop qui influence qui. Est-ce Virgile qui permet à Lavinia d'exister, en lui révélant les grandes phases de la vie d'Enée, ou est-ce Lavinia qui permet à Virgile de ne pas mourir en se rendant à l'autel d'Albunea? Telle est la mise en abîme que distille Ursula K. le Guin, et qui tend à s'effacer au fil des pages, matérialisant l'indépendance que prend le personnage par rapport au créateur.

On trouve enfin une réflexion sur la guerre, que les hommes sont incapables d'abandonner, mais aussi sur la condition des femmes, en général. Il ne faudrait pourtant pas croire qu'il s'agit d'un livre écrit par une femme, et pour les femmes. Lavinia est aussi une histoire d'hommes et, après tout, il ne faut pas être rebuté par un peu de beauté stylistique!

Le temps d'un récit, Ursula K. le Guin renoue avec le rythme des épopées antiques, retrouve le souffle des tragédies et nous touche avec sa poésie; loin des habituelles productions où l'hémoglobine coule à chaque page, on a affaire à un récit fluide et beaucoup plus subtil. Tout est dit, mais il faut parfois lire entre les lignes; les réflexions de Lavinia sur son destin, ses actes, ou la vie en général, sont autant de considérations aux accents aussi poétiques que philosophiques.

Lien : http://encres-et-calames.ove..
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