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Critique de Catilina38


Steinkis fait partie des éditeurs qui publient peu mais bien, avec un vrai boulot sur l'objet livre. Mes critiques des albums de cet éditeurs sont généralement en rubrique BD Docu, ce qui explique le contenu additionnel qui permet de prolonger le thème traité par la BD. On en apprend beaucoup sur un sujet finalement peu connu hormis la musique Hip-Hop en elle-même. L'ouvrage contient en fin d'album un épais lexique détaillé sur des personnes, évènements ou termes "techniques" de la culture Hip-Hop ainsi qu'une biblio-musicographie. Comme d'habitude chez l'éditeur, ce travail très complet fait beaucoup pour la qualité globale de l'album. La couverture est, enfin, très réussie, à la fois attirante visuellement, fidèle à l'esprit de l'album et imaginative avec ce disque Vinyle évoqué. L'album a été réalisé à quatre mains scénario/dessins.

A la fin des années soixante, le Bronx est un ghetto de noirs pauvres au nord de Manhattan. On sait que c'est dans cette ville new-yorkaise que naissent le Rap et le Hip-Hop. Au travers de la jeunesse de deux jeunes frères, Marcus et Aaron qui se créent une identité et une appartenance l'un avec le Break-dance l'autre avec le Graf, c'est la genèse d'un des mouvements culturels les plus puissants du XX° siècle qui nous est proposé de découvrir.

Toutes les époques de l'histoire américaine ne sont pas également intéressantes. A l'heure d'un revival 80's on constate le plus souvent que cette décennie est l'aboutissement des dix années précédentes où ce pays, des campus élitistes universitaires aux ghettos noirs, sort de ses fondements violents et racistes pour voir naître de véritables cultures modernes, urbaines. Si les noirs du sud avaient le blues qui leur permettait de vivre leur identité de peuple au travers bien souvent de la religion, les jeunes désoeuvrés des villes étaient loin de ces anciens et la plupart du temps vivaient dans un monde de violence, de crimes, de délinquance. C'est le cas des deux héros de ce superbe album très inspiré de Florian Ledoux et Cedric Liano pour l'une de leurs premières publications BD, d'une maturité graphique et thématique remarquables.

Florian Ledoux est graffeur et spécialiste de la culture Hip-Hop. Sa très bonne connaissance de ce mouvement lui permet de dresser une description progressive, historique, de la naissance de ce que l'on connaît par des artistes mais sans avoir conscience du puzzle général. L'itinéraire à la première personne de ses deux frères va nous immerger au coeur de ce bouillonnement très localisé où l'on comprend qu'un contexte général (le racisme, l'incurie des autorités municipales et policières) voit naître quelque chose de gigantesque qui au départ n'était que la volonté de jeunes noirs de s'en sortir hors du crime en revendiquant une fierté raciale et communautaire. C'est cela la culture, une appartenance. On retrouve un peu des éléments qui faisaient la réussite du précédent ouvrage de l'éditeur, Redbone. Ainsi l'aîné va commencer comme membre d'un des gang noir qui faisaient la loi et la structuration (par l'entraide autant que le trafic) du Bronx dans les années soixante-dix en remplaçant une municipalité totalement absente. On effleure le mouvement musical des clubs disco qui touche toutes les villes et où les noirs avec leur technique de Break-dance éprouvée dans les soirées DJ sauvages des rues vont être utilisés comme danseurs et comprendre qu'ils peuvent gagner de l'argent hors des gangs. Cette évolution est passionnante car l'on suit parfaitement cet itinéraire d'un jeune homme fier hors d'un mouvement ce revendication raciale mais qui en est conscient. Comme souvent dans les Ghettos c'est l'obligation de se construire sa propre organisation, sa propre culture qui va créer quelque chose.

La présence du lexique conséquent en fin d'album permet d'éviter un scénario trop explicatif et les auteurs peuvent ainsi utiliser ce background pour réaliser une bonne histoire de famille. Car les deux personnages et leur mère (jeune femme qui galère dans des petits boulots en essayant de protéger ses fils de la misère et du crime) sont attachants. Notamment la relation des deux frères, l'aîné protégeant le petit tout en l'introduisant dans ce bouillonnement de fêtes en bordure de la légalité. Aaron deviendra graffeur, activité identitaire par excellence, avec ses règles, sa fierté affichée: lorsqu'il explique la portée d'un Whole train (le fait de graffer toute une rame de métro) qui va voir son nom de graffeur parcourir tout New-York jusqu'à Wall Street et les quartiers blancs riches on comprend l'importance du Hip-Hop comme marqueur d'existence d'une minorité ignorée. On évoque également James Brown par son apport de fierté majeur, la tentative de la Nation of Islam d'utiliser le mouvement mais aussi le rôle des premiers DJ jamaïcains pour lancer ces Sound-systems de rue...

La partie graphique de Break est surprenante de maturité, notamment dans la colorisation et le découpage. Les deux auteurs utilisent un concept très efficace: l'album est en monochrome gris (très élégant) et voit apparaître des éléments de couleur chaque fois que le Hip-Hop apparaît. Ce peut être un danseur, un DJ, de la musique, un graff. C'est d'abord très beau visuellement et permet d'ajouter un sous-texte aux planches. de même les quelques scènes de danse (que les auteurs ont l'intelligence de ne pas surmultiplier) prennent l'aspect de combats à la mode manga, avec des déformations qui permettent de comprendre le mouvement, la vitesse. Enfin le découpage varié et dynamique rend la lecture extrêmement agréable, esthétique, visuelle. D'excellents dessinateurs que je ne connaissais pas et qu'il faudra suivre assurément, notamment via la participation de Cedric Liano à la revue XXI.

Il ressort de ce gros volume qui se lit d'une traite un sentiment de plénitude que l'on ne trouve pas si souvent dans une BD à l'aspect documentaire, le fait de parvenir tout à la fois à un bel album BD en tant que tel tout en apprenant énormément sur cette culture et l'envie de prolonger notre documentation. Pour ceux qui ont aimé le film Spiderman into the spiderverse avec son influence Hip-Hop je conseille vivement cet album qui permet à un public pas nécessairement fana de musique de découvrir un univers et de comprendre un peu mieux des éléments majeurs du cinéma et de la culture américaine.
Lien : https://etagereimaginaire.wo..
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