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Critique de YvesParis


Les frontières africaines, dit-on, sont artificielles. Ces « frontières de papier » auraient été tracées par un colonisateur tout-puissant au mépris des « frontières de sable » qui leur préexistaient à l'ère pré-coloniale. C'est cette « idée reçue » que Camille Lefebvre bat en brèche. Jeune chercheuse à l'Institut des mondes africains (IMAf), elle a consacré sa thèse de doctorat aux frontières du Niger. Soutenue en 2008 sous la direction de Pierre Boilley, elle est aujourd'hui luxueusement publiée par les Presses de la Sorbonne.
La construction des frontières du Soudan central a suivi, montre-t-elle, une logique contre-intuitive. Britanniques et Français ont délimité leurs empires avant d'en prendre la possession. Des explorateurs les y avaient précédées au début du XIXème siècle. Voyageant seuls, plus souvent civils que militaires, fascinés par les « espaces en blanc » des premières cartes, ces « géographes militants » n'étaient pas des conquérants missionnés par leur gouvernement pour coloniser des terres. Ils vont toutefois repérer les grands espaces géopolitiques qui composent l'espace soudanais. En particulier, ils vont se frotter au jihad de Sokoto, une rébellion d'inspiration religieuse qui éclate en 1804 contre les anciennes dynasties haoussa. La limite de l'expansion du jihad sera choisie en 1890 comme frontière entre les deux empires coloniaux. Mais cette limite n'est pas connue. Et c'est aux « expéditions » des années 1890-1900 qu'il incombera de la définir : le temps de l'exploration a cédé la place au temps de la conquête.
La frontière – qui séparera les Etas indépendants du Niger et du Nigeria – est donc l'objet d'une multitude de modifications selon un processus itératif : une frontière arbitraire est fixée par les négociateurs en Europe que des expéditions militaires vont reconnaître et préciser. Les autres frontières du Niger (constitué en territoire militaire en 1900 et en colonie en 1922 seulement) ont un statut différent puisqu'elles concernent des territoires conquis par la France. A l'est, le Tchad fait partie de l'AEF – alors que le Niger sera rattaché à l'AOF. Au Nord, l'Algérie ne relève pas du ministère des Colonies mais de celui de l'Intérieur. A l'ouest, les frontières les moins litigieuses séparent le Niger du Soudan (futur Mali), de la Haute-Volta (futur Burkina Faso) et du Dahomey (futur Bénin). La définition de ces frontières est très pragmatique et reproduit le plus souvent les configurations territoriales existantes. Elle reste ouverte jusqu'aux années 30, fluctuant en fonction du contexte.
Plus la colonisation s'approfondit, plus la fonction des frontières se fige. Jadis confins géographiques, limites de souveraineté, fronts militaires, la frontière enclôt désormais un territoire. Au même moment, la science coloniale découpe l'espace selon une logique ethnique et constate l'inadéquation des frontières coloniales et des groupements ethniques. Fantasmant une essence pure de l'Afrique pré-coloniale, oubliant les logiques qui avaient guidé les premiers traceurs de frontière de la fin du XIXème siècle, elle critique leur artificialité au nom d'une grille ethnicisante. Cette critique, volontiers anticolonialiste, est paradoxale, qui survalorise l'influence du colonisateur et dénie aux organisations territoriales africaines leur historicité. Les Africains ne s'y sont pas trompés qui, sitôt leur indépendance acquise, proclament en 1964 l'intangibilité des frontières. L'auraient-ils fait si rapidement si elles avaient été aussi artificielles ?
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